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quelques mots avec plusieurs personnes, elle s’approcha tout à coup de moi. On connaît le fameux vers :

Ce que je sais le mieux, c’est mon commencement.


Cela est bon pour le palais; mais dans le monde, c’est tout le contraire : le commencement est la partie la plus difficile de toute conversation. On s’attaque par la santé ou le temps qu’il fait, et on s’accroche ensuite le plus vite qu’on peut à la première branche qui passe à portée; mais avec les gens qu’on ne connaît pas assez pour s’informer de l’état de leurs nerfs, et dans un pays où il fait presque toujours beau, par où commencer? Je cherchais, et je trouvais d’autant moins que je cherchais davantage. Dieu sait quelle platitude allait m’échapper, lorsque la charmante Elena m’en épargna la honte en commençant la première.

— Monsieur, je m’intéresse vivement à votre Pichichia...

Je m’inclinai.

— Voulez-vous vous charger d’une commission pour elle?

— Très volontiers, mademoiselle. Je suis trop heureux...

La voix de mon interlocutrice était encore moins assurée que la mienne, et une légère rougeur colorait son visage.

Dunque, reprit-elle en levant sur moi deux beaux yeux rayonnans de satisfaction intérieure, ayez la bonté de lui remettre ceci. C’est ma part de souscription.

En même temps elle me mit dans la main un rouleau de pièces d’or.

— Ah! mademoiselle! c’est vraiment trop de générosité de votre part !

— Point du tout. J’espère tout simplement que cela me portera bonheur.

Sur quoi elle rougit pour tout de bon, et s’enfuit sans attendre ma réponse.

Je rejoignis mon voisin de table : c’était un vieillard fort poli, que tout le monde appelait Piero, comme s’il n’avait eu que vingt ans, et qui n’était ni plus ni moins qu’un descendant des Soderini. Nous venions de faire connaissance, et il me semblait déjà être de ses amis. Je lui demandai l’explication de cette énigme.

— Eh bien! qu’est-ce qui vous arrête? C’est tout simple.

— Pour vous, repris-je, mais pour moi cela demande quelque éclaircissement, bien que je sois, je pense, sur la voie.

— Comment! vous ignorez que la marchesina est éprise d’un bel aide-de-camp de l’archiduc Louis?... D’où arrivez-vous? ajouta-t-il en souriant.