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faitement placé là du reste pour examiner les conditions de la vie locale.

Quoiqu’encore éloigné des plus hautes cimes du Jura, qui touchent aux frontières de la Suisse, nous nous trouvions déjà complètement engagé dans la montagne. Le sol est partout ici fort ingrat, et semble ne céder qu’avec regret un maigre produit aux efforts, aux sollicitations du travailleur. Pour fixer sa destinée dans un tel milieu, il faut que l’homme tienne à disputer à la nature les moindres ressources qu’elle recèle; il faut quelque chose de cet esprit qui le pousse à s’établir jusque dans les sables des régions tropicales ou jusque sous les glaces des pôles. Si clairsemée que soit la population sur les premiers escarpemens du Jura, on peut se demander, en voyant la pauvreté de la terre, par quel élément de travail elle subvient à ses besoins. La culture des céréales et celle des plantes alimentaires est nulle ou à peu près. Des pâturages existent, il est vrai, sur le penchant des coteaux, mais il faut une bien grande étendue de terrain pour nourrir quelques têtes de bétail. A défaut de ressources naturelles, on n’a pas importé ici, comme on l’a fait un peu plus loin, des moyens artificiels de travail. L’industrie proprement dite se montre à peine; elle n’apparaît guère que dans quelques rares scieries, où l’on utilise l’eau des torrens pour mettre en jeu des moteurs hydrauliques et débiter mécaniquement le*s sapins de la montagne. Un seul genre d’occupation s’offre aux habitans, l’exploitation des bois. Ce pays est essentiellement un pays de bûcherons. Quoique des plus simples, la tâche de ces modestes travailleurs est moins commode qu’il ne semble de prime abord. Ainsi, pour opérer le transport des troncs d’arbres sur un terrain aussi tourmenté, on a besoin de recourir à des procédés qui ne manquent pas de hardiesse, et qui réclament un déploiement de force considérable. Là où les ravins qui séparent les hauteurs se rétrécissent le plus, on prend soin de coucher au-dessus de l’abîme de longs arbres, de manière à former une sorte de pont sur lequel on puisse traîner les sapins. L’espace à franchir est-il un peu plus large, on tend de grosses cordes d’une rive à l’autre, et on fait passer les troncs d’arbres suspendus dans les airs. S’il faut descendre des pentes inégales et raboteuses, qui ne permettent pas de faire rouler l’arbre en l’abandonnant à son propre poids, on le place longitudinalement sur deux paires de roues, de telle sorte qu’il compose à la fois le chariot et le chargement. Comme les sentiers sont fort étroits, on ne peut atteler à ce grossier véhicule qu’un seul bœuf, qu’à tout moment le bûcheron est obligé de seconder en poussant lui-même la voiture.

De tels travaux ne sauraient procurer à ceux qui les exécutent un salaire fort élevé. Aussi, sous le toit des bûcherons du Jura, l’in-