— engloutissaient leurs économies en frais d’instruction et en dépenses de collège ou d’école. Notre couple agissait différemment. — J’ai fait valoir mes terres, disait M. Stella; j’ai obtenu de bonnes récoltes, j’ai mis au monde et j’ai élevé de beaux enfans, mes troupeaux prospèrent, mes greniers sont bien garnis, et ma femme est heureuse. Pourtant je n’ai pas été au collège, et je ne sais pas grand’ chose au-delà de ce qu’il me faut pour cultiver la terre et pour obéir aux commandemens de Dieu. Pourquoi mes enfans ne feraient-ils pas comme moi? Je suis heureux et content. Que peuvent-ils désirer, si ce n’est d’être un jour aussi heureux et aussi contens que moi? Pourvu qu’ils sachent obéir à leurs supérieurs, ils n’auront jamais rien à regretter. — A vrai dire, cette théorie rencontra quelque opposition dans la famille de la fermière. L’un de ses frères, gros négociant en fromage établi depuis nombre d’années dans un faubourg de Milan, mis par son commerce en rapport avec une multitude d’habitans des villes appartenant à différentes classes de la société, avait appris bien des choses qu’ignoraient son beau-frère et sa sœur. Comparé au reste de la famille, le marchand de fromage était presque un homme du monde, et il ne voyait pas sans frémir l’ignorante candeur de ses parens piète à se perpétuer dans leur progéniture. Il admettait que l’aîné de ses neveux, devant remplacer son beau-frère dans l’exploitation de la ferme, fût formé aussi complètement que possible sur le modèle du vieux Stella; mais il eût voulu voir les plus jeunes garçons élevés de façon à pouvoir se frayer un chemin dans ce bas monde. Aussi ne perdait-il pas une occasion de combattre les opinions si arrêtées de son beau-frère sur l’éducation. Chaque fois qu’un des garçons avait atteint l’âge d’entrer au collège, le marchand de fromage avait livré bataille aux vieux Stella, mais inutilement. Lorsque le tour du plus jeune fut venu, l’homme du monde revint à la charge, et avec plus d’ardeur que jamais, car c’était sa dernière chance. — Ton système d’éducation, dit-il un jour que le fermier s’était vanté de n’avoir rien enseigné à ses fils au-delà de ce que lui-même avait appris dans son enfance, ton système pourrait être bon, si ta femme et toi deviez vivre éternellement; mais tu es mortel, n’est-ce pas? et quand tu seras mort, que deviendront tes enfans, si tu ne leur apprends rien qu’à t’obéir? Commander est un art plus difficile qu’obéir, et pour commander avec profit, il faut savoir bien des choses que tu n’enseignes pas à tes enfans.
— Tu te trompes, mon frère, reprenait M. Stella; mes enfans n’obéissent pas à moi seul, et je leur ai enseigné à obéir à Dieu, à M. Le curé et à l’empereur. Pourvu qu’avant ma mort ils aient bien appris cette leçon-là, je mourrai tranquille, car ils ne seront jamais