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On approchait alors de l’année 1848, et les idées d’indépendance et de liberté agitaient déjà les cœurs. La jeunesse des universités marchait, comme d’habitude, à la tête de ce mouvement. Les étudians se rassemblaient, formant des sociétés qui n’avaient de secret que le nom, prononçaient des discours, et composaient des chansons. Paolo avait été élevé dans le respect le plus aveugle pour toute autorité; mais il connaissait actuellement la valeur de certains mots qui avaient pour son père un irrésistible prestige, et il se jeta sans réserve dans le tourbillon qui emporta de bien plus fortes têtes et de bien plus grands cœurs que la tête et le cœur de Paolo. Cette ardeur révolutionnaire nuisit quelque peu à ses études: mais qui peut s’acharner à découvrir le degré précis d’une pente ou la force nécessaire d’un arc-boutant, quand de si nobles intérêts sont enjeu? Si un pont s’écroule, si un cours d’eau monde le terrain qu’il était destiné à arroser, par suite des distractions de l’ingénieur, ce n’est qu’un petit malheur, auquel on portera remède quand la patrie sera sauvée. — Ainsi parlait Paolo, et il ne corrigeait pas ses fautes de calcul. Il portait de longs cheveux pendans sur les épaules, une blouse en velours noir, un chapeau rabattu à la calabraise. C’était dans ce costume singulier, qui faisait ouvrir de grands yeux à M. et à Mme Stella, que Paolo se présentait d’ordinaire à la ferme.

Le jeune étudiant cachait prudemment ses opinions à toute sa famille; mais quelques mots qui lui échappèrent un jour devant Rachel, l’expression qui vint tout à coup illuminer le joli visage de celle-ci en l’écoutant, lui apprirent que, même dans cet humble milieu, il pouvait trouver un cœur capable de le comprendre. Ce fut une découverte féconde en événemens, en courtes joies et en longues douleurs. A partir de ce jour, Paolo initia peu à peu sa cousine à ses projets et à ses espérances, et l’élève fit de si rapides progrès qu’elle dépassa bientôt son maître en hardiesse et en ardeur. Personne ne sait ce qu’il y a de feu sous la cendre d’un sourire de jeune fille. Rachel, qui n’avait fait jusque-là que rire de tout ce qui ne lui donnait pas de l’humeur, ne rêva plus que batailles et victoires; elle ne prit plus aucun souci de tout ce qui l’intéressait la veille, pas même de sa toilette : les griefs des peuples, — et de son peuple en particulier, — devinrent les sujets de ses rêveries. Je ne sais si la jeunesse et la beauté du professeur (car j’ai oublié de dire que Paolo était beau, quoique d’une beauté tout opposée à celle de son frère) furent pour quelque chose dans le rapide développement du patriotisme de Rachel. Ce qui est certain, c’est que la belle orpheline entra de très bonne foi dans cette voie nouvelle, sans se douter que ses sympathies pour le maître fussent la source secrète de ses sympathies pour les doctrines. La jeune fille n’am-