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bitionna plus dès lors que le rôle de Judith ou de Charlotte Corday. Les héroïnes de nature plus tendre étaient pour la jeune Lombarde comme si elles n’eussent jamais existé. Paolo ne cessait de lui envoyer des journaux prohibés, des brochures poursuivies par la police; elle-même fut chargée de quelques missions dangereuses, dont elle s’acquitta avec autant de courage que d’adresse, et avec un plein succès. Les louanges que Paolo lui prodigua en de telles occasions la remplirent d’une douce joie, qu’elle attribua à la conscience d’avoir fait son devoir. Les entretiens des jeunes gens roulaient toujours sur les malheurs de la patrie et sur sa régénération prochaine. Ces entretiens étaient longs, fréquens et secrets; faut-il s’étonner s’ils donnèrent naissance à des sentimens plus personnels que l’amour de la patrie?

On était arrivé cependant au 22 mars de l’année 1848. Légèrement blessé dans les rues de Milan, Paolo, qui s’était bravement battu sur les barricades, y avait reçu le commandement d’un corps de volontaires. Lorsqu’il revint à la ferme après la retraite des troupes autrichiennes, il portait un uniforme pittoresque et un peu théâtral qui lui allait à merveille. Rachel le reçut avec enthousiasme; elle lui plaça en bandoulière une écharpe tricolore qu’elle avait brodée à son intention, et se fit raconter dans les moindres détails tous les épisodes du combat. Les autres membres de la famille accueillirent d’abord plus froidement le jeune officier. L’idée que le gouvernement établi put être dans son tort, qu’un peuple pût se révolter et triompher, ne pouvait entrer dans l’esprit de M. Stella ni dans celui de sa femme; mais lorsque Paolo leur eut raconté certains actes du gouvernement renversé, dont la connaissance n’était jamais parvenue jusqu’à eux, lorsqu’il leur apprit surtout qu’un pape avait déclaré qu’il n’y avait pour les Italiens qu’un seul devoir, celui de chasser les étrangers, lorsqu’il eut affirmé qu’actuellement même les révoltés lombards n’agissaient qu’à l’instigation et d’après les ordres du souverain pontife, dont les forces étaient déjà en mouvement pour se joindre à eux, le signor Stella demeura pétrifié. Il leva les épaules, fronça les sourcils et s’écria d’une voix dolente : — Je ne sais plus où j’en suis. Ah! mon frère a raison de dire que les temps sont changés. Il se peut que tu aies raison, mon enfant,... tu as même raison évidemment, si le pape est avec toi... (et il souleva sa casquette), l’empereur lui-même... (et il la souleva de nouveau); mais que voulez-vous? je suis trop vieux pour changer de principes. Si j’ai tort, et si ma façon de penser me rend impropre à porter ma part des malheurs et des troubles de mon pays, comme tout homme de bien doit le faire, je regrette de n’avoir pas placé tous mes enfans sous une autre discipline que la mienne, et j’en