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son du duc, à Monceaux, et nous y arrivâmes vers neuf heures. Le duc trouva ses domestiques dans une confusion et une inquiétude extrêmes, car personne au Palais-Royal ne savait où il était allé, et le bruit s’était répandu dans tout Paris qu’il avait été conduit à la Bastille et décapité d’après les ordres du roi. Ils lui dirent que les princes du sang et tous ses amis avaient été au Palais-Royal et à Monceaux pour savoir de ses nouvelles, et qu’ils étaient dans une alarme et une consternation extrêmes. Le prince donna l’ordre à son suisse de ne laisser entrer personne auprès de lui, sauf le duc de Biron, disant qu’il coucherait à Monceaux, mais qu’il verrait Mme de Buffon, si elle venait. Je lui demandai ce qu’il comptait faire. Il se montra fort indécis; il voulait surtout savoir au juste ce qui se passait à Paris, bien que ses gens lui eussent déjà confirmé tout ce que mon domestique nous avait rapporté. Il demanda au prince Louis d’Aremberg de voir le duc de Biron afin d’en savoir davantage, et de le mettre à même de régler en conséquence sa conduite durant la nuit.

« On ne permettait plus aux voitures de circuler dans Paris après dix heures. Le duc désirant rester seul, je me rendis à pied chez le duc de Biron avec le prince Louis. Nous vîmes beaucoup de groupes assemblés dans les rues voisines des Tuileries et de la place Louis XV. J’étais très inquiète de la situation du duc, et je désirais vivement savoir l’opinion du public à son égard. Nous nous mêlâmes donc à ces groupes, qui discutaient la question à des points de vue différens, les uns très bien disposés en faveur du prince, les autres non moins violens contre lui, et l’accusant de vouloir détrôner le roi. Cette dernière accusation m’émut si vivement que je retournai à Monceaux pour lui dire quelles horreurs on lui imputait. Je le trouvai avec Mme de Buffon, et comme les opinions de celle-ci étaient fort opposées aux miennes, je fis appeler le duc dans les jardins, et nous nous y promenâmes jusqu’à deux heures du matin. Là, je le conjurai à genoux d’aller à Versailles à l’instant même, de ne point quitter le roi tant que Paris serait dans un pareil état, de montrer ainsi que la foule insurgée se servait de son nom à son insu et sans son aveu, de témoigner enfin combien il était réellement et sincèrement affligé de tout ce qui se passait. Il me répondit qu’il ne pouvait aller à Versailles à une heure pareille, que les avenues étaient gardées, que le roi serait couché et ne le recevrait point; mais il me donna sa parole d’honneur qu’il s’y rendrait le lendemain matin à sept heures.

« Ce fut aussi le lendemain que le comte d’Artois, le prince de Condé et le duc de Bourbon s’éloignèrent. Ils firent parfaitement bien, car ils eussent assurément été massacrés; mais ils ne songeaient point alors sans doute à quitter définitivement leur pays. Durant toute cette journée du 13 juillet, des scènes de tumulte et d’horreur se succédèrent dans tout Paris. Le meurtre de MM. de Foulon et Flesselles, prévôts des marchands, n’est que trop bien connu. J’eus le malheur, dans le courant de la soirée, de tenter de me rendre chez mon bijoutier, et je rencontrai dans la rue Saint-Honoré les soldats des gardes-françaises qui portaient, à la lueur des flambeaux, la tête de M. de Foulon. Ils l’avancèrent jusque dans ma voiture; à cette horrible vue, je poussai des cris d’effroi et perdis connaissance; si je n’avais eu à mes côtés une dame anglaise qui eut le courage de haranguer les insurgés et de leur dire que j’étais une patriote d’Angleterre, ils m’eussent assurément massa-