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Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 21.djvu/485

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crée, car déjà ils commençaient à m’accuser d’être une amie du malheureux Foulon et de vouloir faire manger du foin au peuple, propos qu’on lui prêtait. Je n’essayai point d’aller plus loin, et rentrai chez moi à demi morte. On me mit au lit et on me saigna, car j’étais tout à fait malade. Ayant reçu bientôt après un billet du duc d’Orléans pour m’engager à me rendre sans retard à Monceaux, je dus m’excuser sur l’état où je me trouvais. Le duc vint auprès de moi sur-le-champ, et parut fort alarmé en me voyant si souffrante. Je lui demandai comment il avait été reçu à Versailles, et pourquoi il en était si tôt revenu, car les états y siégeaient alors dans la salle du Jeu de Paume, et il avait ses appartemens au château. Il me dit qu’à son arrivée il s’était rendu directement au lever du roi, qui était au moment de quitter le lit. Le roi ne fit aucune attention à lui ; mais comme il était d’étiquette pour le premier prince du sang, quand il était présent, de passer la chemise du roi, le gentilhomme de la chambre donna la chemise à cet effet au duc d’Orléans. Il s’approcha du roi, qui lui demanda ce qu’il voulait. « Je viens, répondit le duc en passant la chemise, prendre les ordres de votre majesté. » Le roi répondit avec beaucoup de dureté : « Je ne vous demande rien ; retournez d’où vous êtes venu. » Le duc fut profondément irrité et blessé. En quittant la chambre, il se rendit aux états, qui, je le crois, étaient déjà en séance au Jeu de Paume, et le soir même il revint à Paris. Il était beaucoup plus mécontent que je ne l’avais encore vu. « Le roi et la reine, me dit-il, me détestent et chercheront à me faire empoisonner. Quelque désir que j’eusse de leur être utile, jamais ils ne croiront à ma sincérité. Aussi suis-je décidé à ne plus les revoir, car ils m’ont traité trop cruellement au moment même où je voulais réellement servir le roi : s’il m’avait bien reçu à son lever, peut-être les choses auraient-elles été mieux pour tout le monde; mais maintenant je me ferai des amis à moi. » Il me sembla en effet dès ce moment que le duc devint plus exalté en politique, et, bien que jamais je ne l’aie entendu parler sans respect du roi, je l’ai certainement entendu s’exprimer sur le compte de la reine avec une extrême vivacité. Je fus très affligée de cet incident. La cour aurait certainement dû considérer la puissance du duc et ne point l’offenser si légèrement : en lui montrant de la considération et de la confiance, elle aurait pu encore le détacher des êtres affreux qui l’environnaient, et dont les derniers ne le quittèrent qu’après l’avoir perdu sans retour et conduit à l’échafaud. »

Je chercherai à résumer plus loin ce que Mme Elliott a consigné de plus essentiel sur les incertitudes, les faiblesses, les bonnes dispositions trop souvent contrariées ou méconnues du duc d’Orléans. C’est évidemment de ce prince qu’elle peut parler avec le plus d’exactitude et d’autorité. Les souvenirs de Mme Elliott n’offrent pas d’ailleurs que ce seul mérite. Son royal admirateur lui reprochait à tort d’être « une fière Écossaise qui n’aimait que les rois et les princes. » Elle aimait aussi, non sans quelque passion, les reines et les princesses, et nous la trouvons dans tous ses malheurs plus occupée des souffrances de la famille royale que des siennes. Mme Elliott avait loué à Issy une maison de campagne avec un parc, qui avait appartenu à la duchesse de l’infantado, dévouée à la reine. Souvent Marie-Antoinette, s’y rendait pour se dérober quelques heures aux persécutions et aux chagrins chaque jour croissans des Tuileries. Le village d’Issy était rempli