de la tourmente, les deux jeunes enfans de la comtesse Archambaud de Périgord, la duchesse-de Poix et le duc de Dino-Talleyrand.
Que de scènes lamentables et touchantes! que d’amitiés improvisées! que de passions naissantes interrompues par l’effroyable appel nominal! On se rapproche, on se resserre davantage en attendant celui du lendemain. Un jour, ce sont cinquante victimes que réclame l’échafaud; le geôlier lui-même s’étonne, quoique très jacobin. Au moment où on enlève ses prisonniers, deux malheureux se précipitent au bas de l’escalier et se donnent la mort; on en prend deux autres au hasard, car il faut absolument le compte rond des cinquante; M. de Beauharnais était du nombre. Quant à Mme de Beauharnais, elle ne témoignait pour son propre compte aucune inquiétude; une diseuse de bonne aventure de son pays lui avait prédit, après quelques journées d’épreuve, une destinée des plus éclatantes. Aussi plus tard Mme Elliott la revit-elle un jour au moment où elle venait d’ôter une robe bleu et argent d’une rare magnificence; le matin même, elle s’était mariée à la municipalité. « Le général Buonaparte! s’écrie son amie; comment donc avez-vous pu épouser un homme avec un nom aussi affreux? » Barras le lui avait conseillé, et d’ailleurs c’était dans l’intérêt de ses enfans. En définitive, il paraîtrait que les détentions diverses de Mme Elliott ont duré environ dix-huit mois. L’éditeur dit qu’elle rentra en Angleterre à la suite de lord Malmesbury, après la conclusion de la paix d’Amiens; mais ici il y a probablement une erreur. Ce n’est plus lord Malmesbury, c’est lord Cornwallis, qui représenta l’Angleterre aux négociations d’Amiens : celles qui furent confiées à lord Malmesbury, et qui demeurèrent infructueuses, datent de 1796, et c’est dès lors sans doute que Mme Elliott retourna dans son pays. Peu après, un ami du prince de Galles, l’ayant rencontrée dans les environs de Londres, piqua très vivement la curiosité de ce dernier en lui annonçant qu’il avait vu une apparition d’outre-tombe, plus belle que jamais. Ravi de cette nouvelle inespérée, le prince fit mander sur-le-champ la charmante ressuscitée, et leurs anciennes relations se renouèrent. Elle retourna en France en 1814 et mourut pendant la restauration à Ville-d’Avray.
Mis quelque peu à l’aise, je l’avoue, par le dédommagement de 12,000 livres sterling que s’était fait allouer sir John Elliott, comme nous l’avons vu dès l’abord, je me suis franchement laissé aller à l’intérêt que m’a inspiré non-seulement le récit de Mme Elliott, mais sa personne, ses sentimens et son généreux dévouement. Femme avant tout, et femme très passionnée, elle enveloppe dans une malédiction commune tous ceux qui aux degrés les plus différens ont pu entrer dans le mouvement ou les idées de 89. Il me serait impossible notamment de citer les termes plus que familiers qu’elle applique à M. de La Fayette, auquel elle se plaît à attribuer personnellement tous les malheurs survenus à la famille royale durant et après les tristes journées des 5 et 6 octobre. On ne raisonne point avec une passion féminine exaltée et surexcitée à ce point. Néanmoins je serais curieux de savoir si ceux qui ont donné à la « fière Écossaise » les tristes détails du retour de Versailles lui en ont rapporté un incident souvent raconté depuis : au moment où M. de La Fayette traversait l’Œil-de-Bœuf, un courtisan, laissant éclater ces aveugles préventions que Mme Elliott n’était point seule à nourrir, s’écrie: «Voilà Cromwell ! — Monsieur, répond le général, Cromwell ne serait pas venu tout seul. »