Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 21.djvu/504

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

un vêtement sans corps, vous ne surprendrez partout que l’intention de séduire le regard, ou tout au plus d’amuser l’esprit.

Il serait injuste sans doute de se prononcer absolument sur l’état de la peinture en France d’après les spécimens réunis au Salon, car ces produits de l’art contemporain n’en résument pas les caractères sans plus d’une lacune considérable. Les entreprises de décoration monumentale que l’usage a consacrées depuis plusieurs années, et que nous souhaiterions, dans l’intérêt du progrès sérieux, voir se multiplier encore, les peintures exécutées sur place expliquent à la fois l’absence des œuvres importantes et l’abstention ou l’avarice apparente de certains talens. Si M. Delacroix par exemple n’a exposé que quelques petites toiles qui ne sauraient ajouter beaucoup à sa réputation, si MM. Flandrin et Lehmann n’ont envoyé au Salon que des portraits ou des compositions de dimension restreinte, les vastes travaux que ces artistes ont achevés récemment, ou qu’ils poursuivent dans les édifices publics, nous donnent le secret de cette représentation incomplète. Que l’on tienne compte aussi de l’éloignement volontaire des maîtres qui pourraient le mieux par leurs exemples restaurer le goût de l’art et de la beauté véritables, on comprendra ce qui laisse à l’ensemble des œuvres exposées une physionomie en quelque façon secondaire, et aux meilleures d’entre elles une valeur de pur agrément.

La peinture d’histoire, pour nous servir du terme consacré, c’est-à-dire l’image du fait dans son acception épique, n’est pas représentée au Salon, ou du moins elle y tient si peu de place, elle y apparaît de loin en loin sous des formes si modestes, qu’à peine semble-t-elle participer à la vie commune et réclamer une part d’attention. Que les choses ont marché vite depuis les trente premières années du siècle, puisqu’un genre de peinture qui, avec le portrait, n’avait cessé jusque-là d’occuper toutes les forces de l’école et d’en résumer l’esprit, est réduite aujourd’hui à ce rôle subalterne, à cet état de délaissement presque absolu !

Moins rares au Salon que les scènes strictement historiques, les sujets religieux n’y figurent que pour attester aussi cette obstination à demi découragée, ces restes de foi dans l’art sérieux qui survivent tant bien que mal chez quelques artistes à la décadence des coutumes et des doctrines générales. Ici d’ailleurs l’insuffisance des œuvres est plus excusable et l’infidélité aux traditions moins sensible, car ces traditions, glorieuses pour notre pays dans le domaine de la peinture d’histoire, n’ont pas, au point de vue de l’inspiration chrétienne, une autorité aussi sûre. On peut dire même qu’à partir du XVIe siècle, c’est-à-dire depuis l’époque où notre école de peinture s’est constituée et définie, l’art religieux n’a jamais été le