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fait des maîtres français, non qu’ils aient, tant s’en faut, refusé de s’y essayer, mais parce que la nature de leur génie même ne leur permettait pas d’en remplir à souhait toutes les conditions. Leurs inclinations graves, mais d’une gravité sans rêverie, leur habitude de se renfermer dans les limites du fait ou d’en idéaliser si discrètement l’apparence que la raison se trouvât satisfaite au moins autant que l’imagination, tout faisait obstacle au plein succès lorsqu’ils abordaient des sujets dont la signification doit résulter d’une expression de poésie abstraite plutôt que de l’image fidèle d’un événement humain. Aussi ne pourra-t-on citer dans tous les tableaux qu’a produits notre école une figure du Sauveur véritablement émouvante, et, Lesueur excepté, n’avons-nous pas un seul peintre de sujets religieux à opposer aux grands artistes italiens. L’Évangile et surtout l’Ancien-Testament ont inspiré à Poussin des compositions admirables, dans lesquelles toutefois la majesté des intentions, l’ampleur et l’énergie du style l’emportent de beaucoup sur la piété du sentiment. Philippe de Champagne, talent bien français en dépit de son origine flamande, a eu quelquefois de l’onction, mais le plus souvent une dévotion tranquille et un peu compassée. Jouvenet a fait preuve de force, M. Ingres de sévérité et de noblesse. Si différentes, quant aux formes, que soient les œuvres de ces maîtres, elles ont cela de commun, qu’elles nous laissent pressentir assez peu au-delà de ce qu’elles nous montrent : nulle part l’effusion, l’entraînement, les tremblemens de la ferveur, — partout une main calme, un esprit maître de soi, un goût exact, réglé, quelquefois même jusqu’à la froideur. À défaut d’équivalens, veut-on trouver dans les écoles étrangères quelques élémens de comparaison, quelques symptômes analogues à la manière solennelle et le sentiment ordonné de Fra Bartolomméo se rapprocheraient bien plus des tendances de l’art français en pareil cas que les intentions profondément pathétiques de Rembrandt, ou la tendresse d’âme de Fra Angelico et de Léonard.

Assez récemment, il est vrai, d’honorables efforts ont été tentés en France pour renouveler les conditions de la peinture religieuse et pour lui imprimer ce caractère d’émotion intime dont elle avait été trop souvent dépourvue. Les travaux d’Orsel et de ses amis, MM. Perin et Roger, les derniers ouvrages de Paul Delaroche et de Ary Scheffer, les peintures murales de M. Flandrin, accusent une aptitude imprévue, un développement remarquable du sentiment chrétien chez quelques artistes contemporains ; mais ce progrès tout personnel est demeuré sans conséquences, sans influence fort sensible sur les habitudes de l’école. Si le doute pouvait exister à cet égard, il suffirait d’examiner un instant les tableaux religieux exposés au Salon. Telle toile signée d’un nom pourrait l’être impunément