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traditions sinon plus sévères, au moins plus pures. L’invention générale de la figure n’a au reste rien de fort imprévu. Assise et faisant tourner de la main droite le fil qui s’enroule autour du fuseau tandis que le bras gauche s’élève pour supporter la quenouille, la Fileuse est vêtue d’une robe d’étoffe légère glissant sur la poitrine et mettant à nu l’épaule du côté où s’abaisse la main qui agite le fuseau ; ses jambes sont recouvertes d’une draperie à la manière des statues antiques et de bien d’autres. L’ajustement, on le voit, n’a pas beaucoup plus de nouveauté que la pose, mais le tout est finement compris et rendu avec une véritable élégance. Le choix des formes, le caractère de la tête, qui, sans être une copie servile des types consacrés, n’est pas non plus le simple portrait d’un modèle de rencontre, le style de chaque partie en un mot prouve que M. Moreau sait éviter la gentillesse en recherchant la grâce, et se préserver aussi bien des vérités mesquines que des beautés de convention.

Un autre ouvrage du même artiste, l’Avenir, nous semble beaucoup moins heureux. La signification de ce morceau est d’ailleurs assez équivoque, et, sans le secours du livret, on pourrait facilement prendre pour une tête de vestale cet Avenir au visage voilé dont les traits se laissent entrevoir à travers la draperie légère qui les recouvre : artifice d’outil un peu puéril et renouvelé de certain trompe-l’œil qui fait l’admiration des touristes dans la chapelle de Sainte-Marie della pietà de’ Sangri à Naples. On sait qu’un sculpteur de l’extrême décadence italienne, Corradini, imagina de représenter dans cette chapelle la mère de Raimondi Sangro enveloppée de la tête aux pieds d’un long voile, et de travailler le marbre de manière à lui donner un simulacre de transparence. Ce tour d’adresse du ciseau, bien souvent répété depuis lors en Italie, particulièrement à Milan, dans la première moitié de notre siècle, a tenté les artistes français à leur tour, et semble aujourd’hui les préoccuper un peu trop, puisque, indépendamment de l’Avenir de M. Moreau, une Vestale de M. Carrier de Belleuse, et l’Agrippine portant les cendres de Germanicus, statue sculptée par M. Maillet, sont conçues et exécutées à l’imitation de l’œuvre napolitaine.

On se rappelle la charmante figure, le Printemps, que M. Loison avait exposée au Salon de 1853. La grâce, l’expression de jeunesse qui caractérisaient cet ouvrage et qui lui valurent alors le succès, se retrouvent en partie dans la Sapho sur le rocher de Leucade que M. Loison nous montre cette année ; mais ces qualités apparaissent ici sous des formes un peu contraintes, et jusqu’à un certain point en désaccord avec la scène et le personnage représentés. Un tel sujet comportait dans l’attitude, dans l’expression du visage,