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L’hospitalité d’Ahmed-Yar-Khan, — c’était le nom de ce gentilhomme, — fut d’abord accordée avec une certaine répugnance. Il fallut plus d’un appel à sa courtoisie, à sa générosité, pour qu’il accordât l’entrée de sa maison aux fugitifs, presque morts de fatigue et de chaleur. Leur promesse de repartir pour Futtehghur aussitôt qu’on leur aurait procuré une barque en état de les transporter jusque-là fut évidemment, de tous les argumens qu’ils firent valoir, le plus persuasif. Pendant le repas qu’on leur avait servi sur la terrasse du nawab, survint un messager dont quelques paroles, murmurées à l’oreille de ce personnage, modifièrent à l’instant même ses résolutions. « Vous allez, dit-il à M. Edwards, partir immédiatement pour Shumshabad, sous une escorte de cinq cavaliers que je vais vous fournir et que commandera un de mes parens. Arrivés là, vous serez sous la protection du nawab Doollah, qui consent à vous recevoir. » Ahmed-Yar-Khan exigeait de plus un certificat signé du collecteur et attestant les bons procédés dont il avait été l’objet. Cette demande était fort suspecte, la remise de pareils certificats étant assez communément le prélude de quelque trahison ; mais tout refus était impossible dans les circonstances données. Les quatre Anglais se remirent donc en route, n’ayant pour garantie que la bonne foi du cavalier pathan placé à la tête de leur petite escorte. Il s’appelait Mooltan-Khan, et les dispositions de cet homme (quelques jours après, il allait se faire tuer dans les rangs des rebelles) ne pouvaient inspirer qu’une médiocre sécurité aux malheureux fugitifs.

« Il vaut mieux éviter les villages. Au galop donc, et à travers champs ! » telles furent les premières paroles de ce nouveau guide, et, tout fatigués qu’ils fussent, les voyageurs durent le suivre de leur mieux. Cependant après une course de quatre milles il fallut bien s’arrêter. M. Gibson et Wuzeer-Singh, montés sur le même chameau, et M. Donald le père, dont le cheval ne pouvait soutenir une si vive allure, étaient restés en arrière. À peine avaient-ils rejoint, que M. Donald, prenant à part M. Edwards, lui transmit, de la part de Wuzeer-Singh, un renseignement de sinistre augure. Le fidèle péon, resté dans la cour d’Ahmed-Yar-Khan pendant que son maître déjeunait à l’étage supérieur, avait entendu les gens du nawab et les cavaliers de l’escorte comploter le massacre des quatre Européens pour le moment même où ils monteraient dans la barque destinée à les emmener. Ce ne fut pas sans une cruelle angoisse que M. Edwards reçut de la bouche même de Wuzeer-Singh la confirmation de cette menaçante découverte. Que faire pourtant et que résoudre ? Il fallait affronter la trahison préméditée, et le seul moyen de s’en préserver était peut-être de la supposer impossible. Les scènes qui suivirent l’arrivée des fugitifs chez le nawab Doollah nous seront racontées par M. Edwards lui-même.