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« Nous fûmes reçus, dit-il, avec la plus grande civilité par l’intendant du nawab, qui, sous une verandah, et entouré d’une foule de cliens, s’occupait du règlement de quelques affaires. Il échangea immédiatement plusieurs messages avec son maître, et finit par aller le trouver à l’intérieur de la maison. Je saisis cette occasion pour faire passer mes complimens au nawab, lui exprimant le désir de le voir et l’espérance qu’il nous procurerait une barque pour Futtehghur. L’homme revint presque aussitôt, disant que le nawab ne nous voulait point voir (ce que j’estimai un fort mauvais symptôme), mais que nous aurions, dans le plus bref délai possible, les moyens de nous embarquer. Il me recommanda aussi d’annoncer notre arrivée au kotwal (préfet de police) de Futtehghur, et il écrivit pour moi un ordre ou purvannah qu’il me demandait de contre-signer. Pour sceller cet ordre, je me servis de ma bague à cachet, qui parut exciter une certaine curiosité dans le groupe dont j’étais entouré. Quelques-uns des assistans la voulurent voir ; elle fit le tour du cercle, et me fut ensuite restituée en toute civilité. Il fallait un certain effort pour garder, pendant tout ce temps-là, une contenance enjouée et sereine. Nous y réussîmes cependant, et nous causâmes sur le ton le plus familier avec les personnes présentes. Au bout d’une heure environ, nous fûmes conviés à nous rendre dans un bungalow, bâti et meublé à l’européenne, où le nawab nous avait fait préparer un repas. Notre kardar hindou, Mooltan-Khan, et les cavaliers d’escorte nous accompagnèrent dans le bungalow, et prirent place à la même table que nous. Je mangeai, par grand bonheur, quelques oeufs durcis, qui ne contribuèrent pas médiocrement à me soutenir pendant les dix-huit heures suivantes.

« J’allais m’étendre et tâcher de prendre quelque repos, — car j’étais horriblement fatigué, — lorsque mes soupçons se réveillèrent à ces mots de Mooltan-Khan, revenu tout à coup près de moi : « Vous me faites profondément pitié ! » Je lui demandai pourquoi. Il me répondit qu’aucune barque n’avait été préparée pour nous, et que jamais nous n’arriverions en vie à Futtehghur à cause de l’état des routes et des villages à traverser. Tandis qu’il s’expliquait là-dessus, M. Donald le fils, debout auprès de la fenêtre, me cria, tout alarmé, qu’une quantité d’hommes armés se réunissaient autour de la maison et pénétraient dans l’enceinte murée de la cour. Le kardar, presque au même moment, se rapprochait de moi, et me dit : « Il faut partir sans perdre une minute. Si vous restez ici, vous êtes tous morts. Retournez d’où vous venez, et ne quittez pas d’une semelle les cavaliers qui vous ont accompagnés depuis Kaïm-Gunge. » Je demandai les chevaux à l’instant même, et nous fûmes bientôt en selle. Comme je sortais de l’enclos, je cherchai des yeux mes deux serviteurs ; mais l’encombrement était déjà tel que je ne pus les voir. Mon cheval de rechange, monté jusqu’alors par mon domestique afghan, était devant la porte, et nous suppliâmes M. Gibson de le prendre ; mais, fort médiocre écuyer, il préféra remonter sur son chameau. Jusqu’à ce moment, la foule ne nous gênait en rien et ouvrait passage devant nous.

« M. Donald fils et moi nous trouvions alors en avant avec Mooltan-Khan, et nous étions à quelque deux cents mètres de la maison, lorsque nous aperçûmes sous un petit bois en face de nous, et nous barrant absolument la route, un petit corps de cavalerie. Mooltan-Khan serra aussitôt la bride à