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avait donné de graves craintes à ses chefs en refusant de s’enfermer dans la forteresse avec le trésor de la station, qu’on y voulait transporter à l’approche d’une colonne rebelle. On avait dû, faute de moyens coercitifs, subir leurs exigences et laisser impunie leur indiscipline[1] ; mais les résidens civils européens, qui depuis le 1er juin s’étaient munis de bateaux où beaucoup se retiraient chaque nuit, justement effarouchés par cette conduite de la garnison, s’étaient embarqués pour descendre à Cawnpore. Cette fuite et la disparition de quatre officiers anglais, qui, aux premières menaces de sédition, avaient ignominieusement déserté leur poste, laissaient depuis lors l’esprit des soldats du 10e dans des dispositions assez incertaines. Ils semblaient honteux de leur conduite, mais en même temps, l’œil ouvert sur toutes les démarches de leurs officiers, « ils les guettaient, dit un témoin oculaire[2], comme le chat guette la souris. » Le 6, néanmoins, ils prêtèrent serment par Gunga-Panee[3] et sur le Koran de demeurer « fidèles à leur sel, » et de défendre, fût-ce au péril de leur vie, les officiers restés à leur tête. Le 8, les malfaiteurs détenus dans la prison de Futtehghur se mirent en insurrection. Quelques-uns s’étaient débarrassés de leurs fers ; ils refusaient de se laisser enfermer la nuit. Le capitaine anglais, qui vint avec un détachement de cipayes pour les contraindre à rentrer dans leurs dortoirs, fut assailli à coups de briques et blessé assez grièvement. Ses soldats pourtant ouvrirent aussitôt le feu sur les prisonniers insurgés, les réduisirent à l’obéissance, et fusillèrent séance tenante les promoteurs de la révolte. Tel était l’état des choses au moment où M. Edwards et ses deux compagnons arrivèrent, le lendemain même de cette échauffourée, chez M. Probyn, le collecteur du district. Ce magistrat ne se fiait qu’à demi aux bonnes dispositions des cipayes du 10e, nonobstant les sanglans témoignages de fidélité qu’ils venaient de donner si récemment. Sa femme, partie dès le 3, s’était réfugiée chez un zemindar de l’Oude, dont les domaines étaient situés de l’autre côté du Gange, et qui avait spontanément offert sa protection aux Européens menacés. Selon M. Probyn, c’était chez ce riche et puissant propriétaire, nommé Hurdeo-Buksh, que son collègue et les deux Donald devaient se rendre sans retard en sa compagnie. Les fugitifs de Budaon voulaient au contraire aller à Cawnpore, — c’était se livrer infailliblement à Nana-Sahib, — et il fallut pour les détourner de cette résolution l’arrivée

  1. On alla même jusqu’à promettre aux soldats du 10e une avance de paye, à laquelle assez naturellement ils devaient préférer le pillage de la station et du trésor, où se trouvaient alors deux lakhs et demi de roupies (625,000 francs environ).
  2. Lettre adressée le 6 juin au Moffussilite. Elle est citée tout au long dans l’ouvrage de M. Mead, The Sepoy Revolt, pages 146 et suivantes.
  3. L’eau du Gange.