sa famille par l’entremise des premiers officiers européens qui viendraient à traverser le district. Pendant cette conférence décisive, les deux Donald s’étaient endormis, tant leur épuisement était complet, et au bout d’une heure d’attente M. Edwards lui-même se sentait gagné par le sommeil, lorsqu’il entendit la voix du nawab : — Il est endormi, murmurait-il. Ne le réveillez pas, il a tant besoin de repos. — Mais le vieux tehseeldar répondait, tout en frappant le plancher de son pied boiteux : — Il n’est jamais trop tôt pour réveiller un homme quand on lui apporte de bonnes nouvelles.
Les nouvelles étaient bonnes effectivement. Le nawab avait fini par trouver deux hommes sûrs, alliés de sa famille, qui consentaient à escorter les voyageurs, préalablement déguisés. Il prêtait les costumes nécessaires, et deux heures après on serait en route pour Futtehghur. Par surcroît de bonheur, on venait de retrouver et de ramener le cheval de rechange de M. Edwards, et M. Donald se trouvait ainsi monté comme il convenait à sa pesante stature, tandis que la misérable rosse qu’on venait de lui vendre eût été incapable de le porter une lieue de suite. Au temps marqué, ce projet de départ s’effectuait de point en point, et, revêtus du costume indigène, du turban surtout, dont la pose régulière demande une expérience de plusieurs années, les trois Anglais quittaient Kaïm-Gunge. Leurs habits avaient été brûlés sous leurs yeux, afin qu’il ne restât aucune trace de l’hospitalité compromettante dont le nawab se sentait responsable envers ses compatriotes.
Les vingt-quatre milles qui séparent Kaïm-Gunge de Futtehghur furent franchis en quelques heures de nuit, mais non sans incidens. Dans des fuites pareilles, tout est danger. Ici c’est une branche d’arbre qui enlève le turban si savamment arrangé sur le front de M. Edwards, et le met ainsi en passe d’être découvert ; plus loin, c’est la jument rétive de son guide qui, par ses caprices indomptables, menace de les arrêter net. À mi-chemin environ, il faut passer entre deux villages, dont l’un est livré aux flammes par les maraudeurs qui sont venus le piller. À la lueur de l’incendie, ils aperçoivent les voyageurs, et, poussant des cris furieux, se précipitent vers la route de manière à les y devancer. De leur côté, les fugitifs lancent leurs chevaux à toute vitesse. La vie est pour eux l’enjeu de la course. Deux cents mètres d’avance les tirent d’affaire, et ils laissent derrière eux, désappointée et rugissante, la canaille altérée de sang et de butin. Vers huit heures du matin (le 9 juin), ils arrivaient enfin à Futtehghur, où la révolte s’était déjà propagée, mais sans succès. Six jours auparavant, le 10e d’infanterie (cipayes)