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sur un tas de fumier, où il avait été presque immédiatement dévoré par les chiens. Tout cela s’était fait avec le plein assentiment du nawab Doollah, auquel avait été conduit en offrande triomphale le chameau de M. Gibson. Wuzeer-Singh lui-même, caché dans les bosquets du jardin, y était resté vingt-quatre heures de suite sans alimens, et, découvert en fin de compte, n’avait dû son salut qu’à la pitié d’un subalterne, qui, après l’avoir fait manger, lui indiqua la direction dans laquelle M. Edwards avait dû s’éloigner.

Le lendemain même de l’arrivée de Wuzeer-Singh, c’est-à-dire le 14 juin, la révolte du 10e, prévue et prédite par M. Probyn, fut décidée par l’approche du 41e, insurgé à Seetapore. Le mouvement de Futtelighur se prononça heureusement de fort bonne heure, et les résidens européens, qui couchaient tous dans le fort, échappèrent ainsi au massacre. Les insurgés adoptèrent au reste, contre toute attente, une marche assez régulière : formés en bon ordre, ils allèrent tout droit au palais du nawab de Furruckabad, déposèrent leurs drapeaux à ses pieds, lui offrirent officiellement de passer à son service, et, lorsqu’il eut accepté, tirèrent en son honneur une salve d’artillerie. L’écho apporta jusqu’à Dhurumpore, le bruit de cette canonnade, et ce fut ainsi que les protégés de Hurdeo-Buksh apprirent la désastreuse nouvelle. À la consternation profonde des gens qui les entouraient, ils purent s’assurer qu’il fallait compter assez peu sur leur dévouement et leur courage. Il leur fut enjoint, au nom de leur hôte, de se tenir strictement enfermés et de ne se laisser voir par qui que ce fût. Pendant la première journée de cette réclusion absolue, un singulier bruit frappait constamment leurs oreilles : les murailles retentissaient de coups violens, on entendait crouler des maçonneries ; puis ce tapage cessa tout à coup, et nos prisonniers en eurent l’explication la première fois que, le soir venu, on leur permit de prendre l’air sur les terrasses du fort. Ils y virent en effet un beau canon de 18, caché naguère dans l’épaisseur des murs à la suite de la proclamation par laquelle, après l’annexion de l’Oude, il fut interdit aux talookdars de conserver leur artillerie. Quatre autres pièces de différens calibres furent amenées le même jour par les chefs de village auxquels le zemindar en avait confié le dépôt provisoire ; une autre de 24 fut déterrée dans un champ, à 50 mètres d’un arbre qui servait de repère aux enfouisseurs, et toutes six furent promptement montées et mises en batterie dans la cour intérieure. Pour le moment, cela parut suffire ; mais on ne cacha pas aux deux magistrats que, si besoin était, on saurait bien où trouver encore quelques-uns de ces engins prohibés.

Ces précautions n’étaient ni vaines ni prématurées. Dès le lendemain en effet, tout fut en l’air dans la petite forteresse. Des messagers,