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s’est aggravée depuis qu’on empêche nos gens, par ordre du nawab, d’aller s’approvisionner à Furruckabad, comme par le passé, soit de sel, soit de sucre, et de bien d’autres denrées encore. Les eaux baissent d’ailleurs, et je vous ai prévenus qu’avec l’inondation expirerait le pouvoir que j’ai eu de vous tenir à l’abri. Il faut donc vous décider à partir, et c’est encore par le fleuve qu’il vous sera le plus aisé de gagner Cawnpore.— Nous sommes tombés d’accord que ce parti était en effet le meilleur, et que nous l’adopterions aussitôt après avoir reçu la réponse du général Havelock.

« Lundi 24 août. — Hier soir, au moment de nous endormir, on nous annonce un messager du général Havelock. Nous bondissons de joie à l’espoir de cette réponse si longtemps différée. Encore une chimère ! Le général écrit à Hurdeo-Buksh pour le louer de sa loyauté, de son humanité, et lui promettre une récompense signalée, s’il parvient à nous faire arriver sains et saufs au camp anglais, dès que l’armée aura repris Futtehghur. Le messager nous dissuade de descendre le Gange du côté de Cawnpore. Nous serions infailliblement massacrés en route.

« 25 août. — Un homme arrive de Dhurumpore pour nous dire, de la part de Hurdeo-Buksh, qu’un messager chargé par le zemindar d’explorer le fleuve rapporte qu’on peut arriver à Cawnpore sans le moindre danger. »


La nécessité de concilier ces renseignemens et avis contradictoires força Hurdeo-Buksh à différer encore le renvoi de ses protégés. Le 20 août, Havelock écrivait aux deux collecteurs « de rester où ils étaient,… que tous les chemins étaient infestés de rebelles et le passage à peu près impossible. » Nonobstant cette lettre, Hurdeo-Buksh, suffisamment rassuré, déclara qu’il les ferait partir dès le lendemain, et de fait le 30 au matin, par une matinée pluvieuse, un bateau couvert emportait les proscrits, bien dissimulés sous l’habitacle, avec une escorte de onze matchlockmen (paysans armés de fusils à mèche). Hurdeo-Buksh avait voulu les mettre lui-même à bord, et c’était un beau-frère à lui qui avait charge de la petite expédition. Pour plus de sûreté, le digne zemindar avait mis l’embargo sur toutes les barques qui, le long des deux fleuves (le Gange et la Ramgunga), se trouvaient amarrées au territoire sur lequel il avait juridiction. Par ce moyen, il paralysait les poursuites qu’on voudrait diriger de Furruckabad contre les Européens fugitifs. Ceux-ci n’en coururent pas moins d’assez graves dangers pendant les vingt-sept mortelles heures que dura la traversée mystérieuse. À plusieurs reprises, hélés du rivage, ils purent se croire dénoncés ou découverts ; mais leur guide, le thakoor Perthee-Pal, avait la riposte toujours prête et le mensonge facile. « Où allez-vous ? lui criait-on d’un village riverain. — Aux bains de Tirhowah-Pulleah, où je mène la famille de Hurdeo-Buksh.— Arrêtez-vous ! — Je n’ai pas le temps. — Vous avez des Feringis à bord. Abordez sur l’heure ! — Je voudrais bien que vous dissiez vrai. Nous les aurions promptement expédiés, et vous donnerions part au butin… » Pendant ce