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souvenir. Non-seulement leur mémoire a péri, mais tout l’ordre social dont ils ont fait partie a disparu. Essayons de ranimer un moment cette poussière éteinte, à l’aide des renseignemens qu’il nous a été possible de recueillir.


I

L’ordre du clergé était fort directement intéressé au développement de l’agriculture, puisqu’il possédait le sixième environ du sol, dont une partie entre les mains de grands corps religieux, et le reste divisé en une multitude de petits bénéfices. De tout temps, les possesseurs ecclésiastiques avaient professé une affection particulière pour la culture. Même sans remonter aux défrichemens primitifs, presque tous exécutés par des moines, la plupart des grandes améliorations agricoles ont pris naissance dans des couvens. Les terres du clergé étaient encore, au siècle dernier, les mieux cultivées de France après celles des petits propriétaires, qui ont toujours eu l’avance, alors comme aujourd’hui. Presque toutes affermées, elles remplissaient dans notre organisation rurale le rôle des grandes propriétés anglaises. Il n’est donc pas étonnant qu’en formant la Société d’Agriculture, on ait cru nécessaire d’y faire entrer des représentais de cet ordre d’intérêts, alors si puissant et si respecté. Les personnes choisies n’ont par elles-mêmes aucune importance, les établissemens qu’elles représentent en ont beaucoup. L’abbaye de Saint-Germain des Prés possédait sous Charlemagne, d’après les recherches si neuves et si curieuses de M. Guérard, 430,000 hectares, ou l’étendue actuelle d’un département ; elle était encore en 1789 la plus riche de France, et l’abbé passait pour avoir à lui seul 300,000 livres de rentes. Même en retranchant la moitié, pour tenir compte des exagérations du temps, c’est encore un beau revenu. Le chapitre de Notre-Dame, la congrégation de Sainte-Geneviève, l’abbaye du Pin, l’abbaye de Vézelay, n’étaient pas non plus de petits propriétaires.

Il s’en fallait de beaucoup que les terres de »la noblesse fussent en aussi bon ordre. Presque toutes grevées de lourdes dettes, abandonnées et négligées par leurs possesseurs, elles ne rapportaient le plus souvent qu’un revenu nominal. « La noblesse, dit Saint-Simon, depuis la plus illustre jusqu’à la moindre, se trouve dans un besoin continuel des biens des particuliers riches du tiers-état. Pour un créancier de la noblesse, on en trouverait mille du tiers-état, et un débiteur du tiers-état pour mille de la noblesse. » Quelques membres des plus grandes familles commençaient cependant à faire exception, on en trouvera ici la preuve.