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Charles-François de Montmorency-Luxembourg, prince de Tingry, capitaine des gardes et maréchal de France, était le petit-fils du fameux maréchal de Luxembourg, vainqueur à Fleurus, à Steinkerque et à Nerwinde. Ce nom mérite d’être recueilli, car c’est la première fois qu’on voit un grand seigneur du premier rang consentir à se joindre, pour une œuvre utile, à quelques bourgeois obscurs. Qu’aurait dit Saint-Simon, s’il avait pu assister à un tel acte de la part d’un Montmorency ? Le prince de Tingry a donné un exemple qui devait être suivi vingt ans après par des La Rochefoucauld, des Noailles, des Béthune ; il a eu l’honneur de commencer. Si beaucoup de ses pareils avaient fait comme lui dès ce temps-là, nous aurions peut-être vu s’accomplir chez nous ce qui a si bien réussi chez nos voisins, l’alliance de l’aristocratie et des classes moyennes pour servir les grands intérêts nationaux et populaires.

Le comte de Guerchy, sans appartenir tout à fait à cette région presque royale, occupait une des premières places dans la noblesse de Bourgogne. Il était en 1761 chevalier des ordres du roi et lieutenant-général. Il s’était glorieusement conduit à la bataille de Fontenoy, où il chargea trois fois à la tête de son régiment. Guerchy n’est pas blessé ! s’écrie Voltaire dans son poème de Fontenoy. Après la paix de 1763, il fut nommé ambassadeur à Londres, et y mourut quatre ans après. Il n’a donc pu prendre qu’une courte part aux travaux de la Société d’Agriculture, mais il y a été plus tard remplacé par son fils, qui a enrichi de plusieurs écrits intéressans le recueil des Mémoires. Comme le prince de Tingry, il a droit à un respectueux souvenir pour avoir donné à l’institution naissante l’appui de son nom. Dès la première réunion, il fut nommé président.

Le marquis de Turbilly avait toute sorte de titres pour faire partie d’une telle société. C’était un gentilhomme de l’Anjou, ayant fait la guerre avec éclat comme lieutenant-colonel, mais encore plus passionné pour l’agriculture. Propriétaire dans sa province de terres incultes, il s’était rendu célèbre par des travaux dont il avait lui-même rendu compte dans un Mémoire sur les Défrichemens publié en 1760, et qui produisit à son apparition une sensation extraordinaire. Le contrôleur-général des finances envoya ce livre à tous les intendans en le leur recommandant, et quand on le lit aujourd’hui, on trouve la démarche du ministre très significative. M. de Turbilly ne s’y bornait pas à donner de précieux détails sur la pratique des défrichemens, il exprimait en outre des idées hardies sur le mode de perception des impôts, sur la multiplication excessive du gibier seigneurial, sur la centralisation des dépenses publiques, sur l’impunité du vagabondage et de la mendicité, enfin