Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 21.djvu/607

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

culture, et qu’on ne croyait pas devoir insister[1]. Arthur Young fut sans doute mécontent de cette fin de non-recevoir, car il dit assez de mal de la réunion. « Les gens, dit-il, y parlent tous ensemble, comme dans une conversation particulière. Je n’assiste jamais à aucune société d’agriculture, soit en Angleterre, soit en France, sans avoir des doutes si elles ne font pas plus de mal que de bien en détournant l’attention du public vers des sujets frivoles, ou en traitant avec légèreté des sujets importons. » Ce jugement paraîtra un peu léger lui-même, mais Arthur Young n’entendait pas raillerie quand il s’agissait de navets. Il aurait dû, dans tous les cas, se montrer plus indulgent pour les académies d’agriculture, car il était lui-même plus écrivain que praticien, et s’il n’avait laissé à l’Angleterre que l’exemple de sa ferme de Bradfield, son nom n’aurait pas acquis une si juste renommée. Au surplus, il ne bouda pas longtemps et revint à la société la séance suivante, où il donna sa voix, comme les autres, au général Washington, qui fut élu à l’unanimité. De là avec Broussonnet il alla dîner aux Invalides chez Parmentier. Après dîner, on se rendit à la plaine des Sablons pour voir les pommes de terre plantées par Parmentier sur une partie des cinquante-quatre arpens qu’il avait obtenus du gouvernement, et les préparatifs faits dans une autre pour y mettre des navets, mais cette politesse ne fit que réveiller les sarcasmes d’Arthur Young. « Je conseille à mes confrères, dit-il, de s’en tenir à leur agriculture scientifique, et de laisser la pratique à ceux qui s’y entendent. Quel malheur pour les cultivateurs philosophes que Dieu ait créé le chiendent ! »

Cette boutade, probablement fondée, n’a pas empêché les cultures de Parmentier d’atteindre leur but. Un peu plus ou un peu moins de chiendent, c’est l’affaire du vrai laboureur. Avec ses habitudes anglaises, Arthur Young devait difficilement comprendre cette agriculture académique, qui n’avait point d’analogue dans son pays. Telles sont cependant nos habitudes nationales, telles surtout elles devaient être alors, après un siècle de despotisme qui avait tenu dans une honteuse inertie les esprits et les intérêts. Même aujourd’hui, après un assez long usage de la liberté, nous n’avons que trop souvent besoin de l’excitation administrative pour sortir de notre indolence, et nous aimons encore à prendre pour guides les beaux parleurs et les savans. Il en sera probablement toujours ainsi plus ou moins, car l’esprit français n’a pas cette initiative un peu sauvage qui caractérise l’esprit anglais : il lui faut en tout, avec

  1. La question qui fut préférée est celle-ci : une agriculture florissante influe-t-elle plus sur la prospérité des manufactures que l’accroissement des manufactures sur la prospérité de l’agriculture ?