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des idées spéculatives, le sentiment d’un travail collectif et réglé ; il est doué par excellence de ce que certains économistes ont appelé la force coopérative. On aurait grand tort de se priver de cet élément, un des plus puissans et des plus brillans ; il faut seulement s’appliquer à le maintenir dans de justes bornes, et empêcher qu’il n’étouffe son frère et rival, qui fait de nos jours de si grandes choses dans les deux mondes, le génie individuel.

Certainement, sans ces fonctionnaires qu’Arthur Young plaisante sur leur inhabileté pratique, presque tous écrivains et savans beaucoup plus que cultivateurs, l’agriculture nationale n’aurait pas fait tous les progrès qu’elle a faits depuis un siècle. Leur véritable part est difficile à déterminer, en ce sens que le mouvement aurait fini par se faire jour sans eux, dès que les circonstances générales l’auraient permis ; mais s’ils n’ont pu le créer précisément, ils l’ont aidé, favorisé, précipité : ils ont suppléé à ce qui manquait de courage et de confiance à ce peuple si longtemps comprimé ; ils l’ont relevé en lui parlant sa langue, la langue des idées et des sentimens. Et la liberté même, cette condition première de toute activité, qui nous l’a rendue après un si lourd sommeil, si ce n’est l’esprit philosophique, scientifique et littéraire, qui, avec l’esprit militaire, a toujours fait notre force et notre grandeur ?

Malheureusement le moment approchait où, suivant notre usage, nous allions manquer le but en le dépassant. Arthur Young visitait les cultures de Parmentier le 18 juin, c’est-à-dire l’avant-veille du serment du Jeu de Paume, trois semaines avant la prise de la Bastille. Pendant les quatre années qui suivirent jusqu’au mois d’août 1793, la société continua à tenir ses séances au milieu d’une agitation universelle. On sait par les recueils de ses Mémoires, par le Compte-Rendu que l’abbé Lefèvre, agent général, publia en l’an VII, que, pendant ces terribles années, elle ne se laissa point décourager. Au mois de décembre 1790, elle décerna encore un prix de 1,200 francs, proposé deux ans auparavant par le corps municipal de Paris sur cette question : quelles sont les causes du dépérissement des forêts, et quels sont les moyens d’y remédier ? Mais les fonds promis par la municipalité ne furent pas payés, et la société fut forcée de faire elle-même les frais. Au lieu de préserver les forêts, l’entraînement révolutionnaire s’attachait plutôt à les détruire, et des dévastations de toute sorte allaient faire disparaître du sol une grande étendue de bois. Treize autres sujets de prix avaient été proposés : les prix ne furent pas décernés. La société continua encore quelque temps à distribuer des médailles d’encouragement aux cultivateurs les plus distingués de toutes les parties de la France, ainsi que des instrumens d’agriculture et des béliers de race espagnole.