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un peu moins de hardiesse qu’il ne s’était proposé de le faire, mais avec autant de sincérité. Il raconta comment les deux proscrits étaient arrivés à la ferme, l’un accablé de fatigue, l’autre près de succomber à ses blessures. Le premier s’était reposé et était parti ensuite: le second avait reçu les soins empressés de ses parens, et à peine avait-il retrouvé quelque force, que son père l’avait conduit sur un territoire étranger. M. Stella ne dissimula rien, ni son ancien et constant dévouement à la personne et à la cause de l’empereur, ni ses doutes lorsqu’il avait appris que le saint pontife s’était prononcé contre sa majesté impériale, ni son prompt retour aux saines idées de ses beaux jours. On le laissa parler quelque temps sans faire grande attention à cette partie de son discours; puis le président de la commission l’interrompit.

— Vous avouez donc, Michel Stella, dit-il, avoir donné asile à vos deux fils Filippo et Paolo, rebelles et fugitifs?

— Que vouliez-vous que je fisse, excellence? Figurez-vous pour un moment que votre fils...

— Répondez oui ou non.

— Je ne puis dire non... Eh bien... oui !

— Avouez-vous avoir donné asile à vos deux fils rebelles et fugitifs après avoir pris connaissance du décret qui assimile au crime de haute trahison l’action de donner asile à un rebelle fugitif?

— J’avais entendu dire... que c’était défendu, mais je savais bien que cette défense ne pouvait concerner les pères. Que diable!... pardon, excellence, sa majesté n’est pas un Turc ! l’empereur sait bien...

— Répondez oui ou non.

— A quoi, excellence?

— Aviez-vous connaissance de la loi qui vous défendait de donner asile aux rebelles et fugitifs lorsque vous avez reçu chez vous vos deux fils?

— Je savais...

— C’est assez. Vous êtes convaincu, et vous reconnaissez vous être sciemment rendu coupable du crime de haute trahison en donnant asile à vos deux fils contrairement à la loi.

Il n’en fallait pas davantage dans ce temps-là pour motiver une sentence capitale, et Michel Stella fut condamné à mort, ainsi que ses trois fils, perdus par ses aveux. Lorsque le fermier apprit le sort qui leur était réservé et qu’il se rendit compte des résultats de sa franchise, son visage se décomposa, sa mâchoire inférieure tomba presque sur sa poitrine, ses yeux fixes et sanglans semblèrent sortir de leurs orbites; ses narines se dilatèrent comme celles du coursier qui jette dans ses poumons autant d’air qu’ils en peuvent contenir, et tout son corps fut agité d’un tremblement ner-