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entre quelques capucins qui récitaient les prières des morts autour de lui. Avant de mourir, il se tranquillisa un peu, il souffrait qu’on lui parlât de son fils ; il pardonna à tout le monde, même à celui qui l’avait arrêté, en disant qu’il avait dû obéir. C’est le 31 octobre 1732 que s’éteignit le premier roi de Sardaigne. On le transporta aussitôt à la Superga, à cette basilique qu’il avait lui-même fait construire au sommet de la plus haute colline de Turin, pour rappeler le siège et la délivrance de la ville en 1706.

Destinée étrange où se mêlent l’héroïsme guerrier et la dextérité diplomatique, qui touche à toutes les affaires de l’Europe, et qui finit comme un roman, presque comme un tragédie ! De cette destinée et de toute cette histoire des luttes italiennes dont le règne de Victor-Amédée n’est qu’un épisode, il se dégage une lumière supérieure et saisissante. La France paraît quelquefois en conquérante en Italie ; elle prend des territoires et a l’air de s’établir. Un fait est à noter cependant : c’est que presque toujours la France descend des Alpes, moins pour absorber et s’assimiler l’Italie que pour aller combattre un ennemi plus puissant qui menace sa grandeur ; elle a des forteresses pour se tenir en garde. Sa présence est une nécessité défensive et un accident que l’entraînement seul d’une ambition éphémère transforme en établissement permanent. L’Autriche au contraire va en Italie pour s’y établir et pour y rester. Sa présence est une domination organisée non-seulement contre la France, mais contre l’Italie elle-même. Voilà le secret de l’histoire et du rôle du Piémont, placé entre ces deux puissances.

Pendant longtemps, le Piémont oscilla de l’une à l’autre, se servant de l’Autriche contre la France, de la France contre l’Autriche, cherchant toujours à s’émanciper de cette double tutelle. À mesure que le temps passe, les situations se dessinent, et alors apparaît une vérité lumineuse : c’est que pour le Piémont la France est une ennemie de circonstance et une alliée naturelle, tandis que l’Autriche est une alliée accidentelle et une ennemie permanente. C’est la paix d’Utrecht qui marque ce moment en mettant la France hors de l’Italie et en établissant la domination autrichienne à Milan. Ce jour-là, la politique de la maison de Savoie est fixée ; le Piémont, tourné vers l’Italie, est fatalement destiné à rencontrer à chaque pas la puissance jalouse de l’Autriche. Un siècle d’histoire ne fait que mettre en lumière la fatalité de ces situations hostiles, et la guerre actuelle n’est qu’un épisode de plus de cette lutte toujours nouvelle, dont l’indépendance du nord de l’Italie est le dernier mot.


CHARLES DE MAZADE.