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SCÈNES DE LA VIE DES LANDES.

étude suivie depuis qu’il l’avait vu sortir de ses habitudes. Connaissant à fond le caractère de l’usurier, il avait conclu de ses démarches que, s’il voulait épouser la Cicoulane, c’est que la Cicoulane était riche. Elle devait même être très riche, si l’on en jugeait par la quantité d’argent qu’il dépensait pour arriver à son but. Comment Angoulin était-il arrivé à la découverte de cette fortune ? C’est ce qu’il importait peu de savoir ; mais il y avait là une proie qu’Angoulin voulait pour lui tout seul, et dont Frix et Moucadour pouvaient avoir leur part. Moucadour offrait à Frix de s’associer avec lui, garantissant qu’on tirerait plus de trente mille francs des mains de l’usurier. — J’ai besoin de vous, dit-il en terminant, et vous avez besoin de moi. Vous avez besoin de moi, car vous ne connaissez rien aux affaires, et Angoulin vous duperait trop facilement. J’ai besoin de vous, car c’est vous qui tenez la fille. Faites-lui la cour, ensorcelez-la comme vous savez les ensorceler, et quand il vous aura lâché les trente mille francs, vous lui laisserez le champ libre.

Frix reconnut que Moucadour avait raison, mais il demanda du temps pour réfléchir. En réalité, ce marché lui répugnait ; il aimait véritablement la Cicoulane.

— Oh ! oh ! dit Moucadour, seriez-vous plus fort que je ne le pensais ? Je vous comprends, vous voudriez épouser à la fois et la fille et l’héritage : ce serait un joli prix pour un écarteur ; mais prenez garde d’abandonner le certain pour l’incertain. Angoulin gardera son secret s’il n’épouse pas Margaride, et comment découvrirons-nous ce qu’il a découvert ? L’Allemagne est grande. Dans cette affaire, Angoulin a eu de la chance comme il en a toujours eu. Nous ne pouvons lui ravir la proie, tâchons d’en avoir notre part.

— J’y réfléchirai, répondit Frix.

— Soit ! mais dépêchez-vous, car si vous ne voulez pas être mon associé, j’en prendrai un autre.

V.

Quinze jours après la conversation que nous venons de rapporter, le village de Sainte-Quitterie était en liesse ; on y fêtait la Notre-Dame de septembre. Les fêtes des environs de Paris ne peuvent donner aucune idée des fêtes de nos villages. Chez nous point de saltimbanques bruyans, point de loteries étincelantes. La grand’messe chantée, les vêpres, des bombances pantagruéliques et interminables, la course aux taureaux, tels sont tous nos plaisirs en ces jours solennels.

L’annonce de la course de Sainte-Quitterie avait suffi pour amener dans ce village de trois maisons plus de deux mille personnes. On savait que cette course devait être brillante. Frix avait invité