Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 21.djvu/846

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

et de cavalerie furent envoyés pour reprendre le caravansérail, occupé par deux cent cinquante Souliotes. Ceux-ci, avertis de cette attaque par Ali-Pacha, laissèrent approcher l’ennemi jusqu’au pied de la petite forteresse, et l’accueillirent par une fusillade à bout portant. Les musulmans n’en montèrent pas moins à l’assaut, mais au même instant Botzaris, embusqué dans les montagnes environnantes, se jeta sur eux avec une poignée d’hommes, les culbuta et les poursuivit jusqu’au défilé de Tyriaki. Après ce succès, Marc revint en toute hâte au défilé des Cinq-Puits, afin d’arracher les prisonniers qu’on avait faits au sort qui leur était réservé. Déjà les Souliotes en avaient décapité plusieurs, et formaient un trophée de leurs têtes. Botzaris mit fin à cette exécution sanglante ; il ne laissa jamais ternir l’éclat de ses triomphes par de semblables barbaries. Une de ses plus grandes préoccupations fut d’introduire dans ses petites armées la discipline qu’il avait apprise sur les champs de bataille de l’Europe. Aussi les guerres de l’indépendance hellénique prennent-elles avec Botzaris un caractère élevé qu’elles n’avaient point eu jusqu’à lui ; elles cessent d’être une suite incohérente de luttes isolées, d’épisodes épars, de victoires sans résultat, de triomphes sans lendemain. Le nouveau chef les dirige vers un but déterminé, qui est l’expulsion des Turcs, non plus comme autrefois d’un village, d’une montagne, d’une province même, mais de tout le territoire hellénique.

Grâce aux succès de Botzaris, l’insurrection gagna rapidement du terrain. La Cassiopie se souleva tout entière. Les Albanais[1] eux-mêmes commencèrent à se dégoûter du service d’Ismaël. Deux de leurs principaux chefs, Tahir-Abbas et Hagos-Bessiaris, tour à tour alliés d’Ali ou du sultan, passèrent aux Souliotes. Le séraskier, dont l’armée avait fait des pertes considérables que nul renfort n’avait encore réparées, enjoignit à Békir-Djocador, son lieutenant, d’entrer en pourparlers avec les Grecs de la Selléide (février 1821). Ceux-ci consentirent à un armistice d’un mois. Le polémarque, inquiet de l’inaction de la Grèce méridionale, profita de cette suspension d’armes pour expédier dans les villages de la Hellade et du Péloponèse des émissaires chargés d’y répandre le bruit de ses victoires. Au bout de quelques semaines, les envoyés de Souli revinrent

  1. On sait que les Albanais professent le culte musulman. Il faut rappeler, pour l’intelligence de ce récit, qu’ils se divisent en quatre grandes tribus renommées pour leur bravoure : 1° celles des Guègues ou Guegari, établis sur la côte la plus septentrionale de l’Albanie ainsi que sur les frontières du Monténégro ; 2° des Toxides ou Toxari, non moins braves, mais plus féroces que les Guègues : ils habitent le Musaché (ancienne Taulantie), dont la principale ville est Argyrocastron ; 3° des Lapes ou Japyges, pauvres et de peu de courage : ils habitent les montagnes de l’Acrocéraune, au sud des Toxides ; 4° des Chamides, braves, mais d’une astuce et d’une duplicité proverbiales : ils sont fixés dans le Chamouri, dont les principales villes sont Margariti et Paramythia.