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plus encore à leur fanatisme religieux. Plusieurs envoyés de Kourchid les déterminèrent enfin par les plus magnifiques promesses à se ranger sous les drapeaux du séraskier. Les beys promirent d’user de toute leur influence auprès de leurs frères les Toxides pour leur persuader de déserter la cause des Grecs. Pendant la nuit qui suivit la prise de la ville basse d’Arta, les émissaires des Chamides réussirent à pénétrer dans la partie du camp affectée aux Albanais. Ils supplièrent Elmas, au nom de la religion du prophète, de ne plus combattre dans les rangs des ennemis de leur foi, et l’invitèrent à se réhabiliter aux yeux des vrais croyans par une prompte défection. Elmas-Bey, cédant à ces exhortations, ordonna aussitôt à ses hommes de lever le camp et de s’éloigner dans le plus grand silence ; mais il ne consentit point à tourner ses armes contre ses alliés de la veille. Quand les Souliotes, debout au point du jour, s’apprêtèrent à recommencer le combat, les Toxides avaient disparu comme par enchantement. Cependant Marc, voyant ses compagnons encore exaltés par leurs précédens triomphes, ne désespéra pas de compléter sa victoire. L’apparition des éclaireurs d’un corps d’armée que Kourchid avait envoyé au secours d’Arta par des chemins détournés dissipa cet espoir. Marc poussa néanmoins son cri de guerre et s’élança contre les bâtimens de l’archevêché. Ce mouvement, qui ne pouvait plus avoir pour but la prise de l’acropole, était destiné à concentrer sur les Souliotes l’attention des musulmans, afin de couvrir la retraite du fidèle Karaïskos. Celui-ci n’avait consenti à se retirer que sur l’ordre formel de Botzaris. Grâce à cette généreuse inspiration du héros de la Selléide, les Acarnaniens s’échappèrent et reprirent la route de leur pays. Quelques heures après, les Souliotes fuyaient à leur tour, et traversaient à la nage l’Inachus grossi par une pluie récente.

C’est ici que se place un singulier épisode que nous avons entendu raconter par les gens du pays. En arrivant au bord de l’Inachus, les Grecs virent avec effroi sur la rive opposée un escadron de cavalerie qui se disposait à leur barrer le chemin. Botzaris aperçut en ce moment même un grand troupeau de bœufs qui, ayant retrouvé la liberté dans le tumulte des combats de la veille, erraient tranquillement autour de leurs étables incendiées. Il ordonna aussitôt à ses soldats de rassembler le troupeau, de se pendre à la queue de ces animaux, et de les piquer violemment avec la pointe de leurs sabres. Les bœufs, exaspérés par la douleur et par les cris que poussaient les Souliotes, se précipitèrent dans le fleuve, entraînant après eux le fardeau dont ils ne pouvaient se débarrasser malgré tous leurs efforts ; puis ils tombèrent tête basse sur les cavaliers turcs, dont les montures effarouchées se dispersèrent en tous sens.

Bien que l’expédition d’Arta n’eût pas été couronnée de succès,