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Il craignait d’être complice d’un assassinat. Il s’en fallut de peu que Margaride le tirât de cette anxiété. Pendant six mois, elle fut entre la vie et la mort, en proie à des accidens nerveux d’une nature extraordinaire et inconnue dans les campagnes. Au grand effroi des habitans de la Grande-Borde, elle tomba plusieurs fois en catalepsie, et grâce à l’ignorance du médecin de Sainte-Quitterie elle faillit être enterrée vive. Marioutete ne fut pas étrangère au prolongement de cette crise. Elle soigna sa cousine avec un soin exemplaire. Pour rester auprès d’elle, elle abandonna toutes ses pratiques. On n’eût pu sans injustice lui reprocher d’avoir jamais donné à la malade de la tisane froide ; mais il était rare qu’une ou deux fois par jour elle ne parlât pas de Frix et des horribles détails de sa mort.

Angoulin ne perdait pas son but de vue ; il venait souvent à la Grande-Borde. Margaride ignorait la part qu’il avait prise à la mort de Frix, mais une sorte d’instinct augmentait son horreur pour le vieil usurier. Celui-ci pressait Jean Cassagne d’en finir. Il lui reprochait d’être trop tendre pour la jeune fille, prétendant qu’il fallait profiter de son état de faiblesse pour obtenir son consentement.

Angoulin toutefois n’épousa pas la Cicoulane.

Quelques mois après les événemens que nous avons racontés, les commères de Sainte-Quitterie, s’étonnant de ne point voir Margaride à la messe, demandèrent à la ménagère de la Grande-Borde ce que sa nièce était devenue. La ménagère leur répondit brusquement que sa nièce était retournée dans son pays. On interrogea Marioutete, qui ne se montra pas plus communicative que sa mère. Peu de personnes portaient intérêt à la pauvre orpheline ; mais le mystère qui environnait sa disparition aiguisa la curiosité. Il n’est pas facile de savoir ce qui se passe dans ces maisons isolées perdues dans la campagne. Il était d’autant plus difficile de savoir ce qui se passait chez Jean Cassagne, que, pourvu d’une nombreuse famille, il n’avait ni servante, ni valet. On eût pu interroger Angoulin, mais il était sur ses propres affaires d’une discrétion qui laissait peu de prise. Son air sombre et maussade n’apprenait rien à personne, et le seul symptôme de désappointement qu’il laissa échapper fut un redoublement de rapacité et de dureté envers ses débiteurs.

Cependant en province, même au fond des plus infimes hameaux, la curiosité ne perd jamais ses droits et trouve toujours le moyen de se satisfaire. Au fond d’un bois épais, sous des chênes centenaires, autour des pierres glissantes d’un lavoir, une enquête officieuse fut ouverte sur le fait de la disparition de la Cicoulane. Les laveuses jeunes et vieilles apportèrent les renseignemens qu’elles avaient pu recueillir. On alla d’abord aux extrêmes, et on prétendit