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jetait des monceaux de fleurs et s’agenouillait en chantant de pathétiques myriologues[1]. La nouvelle de cette mort héroïque répandit partout une immense douleur, et elle fut considérée comme une calamité publique. La statue de la Grèce enfant, due au ciseau de David d’Angers, orne le tombeau de Botzaris. Pouvait-on mieux faire que de placer l’image symbolique de la jeune Grèce sur la tombe même de l’homme qui contribua le plus à opérer le prodige de sa renaissance ?

Marc Botzaris tient dans l’histoire de son pays la place que Photos Tsavellas tient dans ses légendes. Ce n’est pas qu’il n’ait eu, lui aussi, ses poètes. Ses exploits, ses vertus, sa mort, forment le sujet d’un grand nombre de chansons populaires ; mais ces chansons, récits fidèles des faits d’armes du héros, élégies sur la triste destinée de la belle Chryséis, constamment séparée de l’homme qu’elle aimait et dont elle était aimée, exhortations à suivre les nobles exemples donnés par le vainqueur de Karpénitzi, hymnes funèbres improvisés sur sa tombe, ces chansons, dis-je, n’ont plus la couleur légendaire de celles que les actions de Photos Tsavellas ont inspirées. D’un style moins inculte que celles-ci, elles ne nous surprennent plus par les inventions merveilleuses, par les images saisissantes, inattendues, qui distinguaient le génie des bardes souliotes. C’est qu’à cette dernière époque le travail d’émancipation et de régénération qui s’accomplissait occupait toutes les intelligences comme tous les bras ; les combats étaient partout et de chaque jour ; la réalité n, e laissait plus aucune place au merveilleux. Ces chants, par leur accent de vérité, n’en témoignent donc que plus fortement de l’admiration que le défenseur de Missolonghi excitait dans toute la Grèce, et de la douleur que sa perte y répandit.

Un de ces poètes dont les œuvres se perpétuent d’elles-mêmes dans la mémoire du peuple termine une énergique description de la bataille de Karpénitzi par ces paroles naïves et touchantes qu’il met

  1. La coutume des myriologues, improvisations funèbres chantées auprès des morts, remonte à la plus haute antiquité, comme une foule d’autres coutumes populaires de la Grèce. Lorsqu’un malade a rendu le dernier soupir, les femmes de sa parenté sortent de la maison et vont prendre leurs habits de deuil dans quelque habitation du voisinage. Elles reviennent bientôt, vêtues de blanc et les cheveux épars ; elles habillent le défunt et le couchent sur un lit très bas, les mains en croix sur la poitrine et le visage tourné vers l’Orient. Puis elles expriment leur douleur par des chants improvisés ou myriologues, qui sont souvent d’une pathétique poésie. Pendant ce temps, la demeure reste ouverte, les amis du défunt entrent et l’embrassent pour la dernière fois ; ceux qu’une perte récente afflige encore lui parlent tout bas et lui confient de secrètes missions. Les myriologues accompagnent le corps à l’église ; interrompus par la célébration de l’office divin, ils recommencent aussitôt après, et ne cessent que lorsque le cercueil est descendu dans la fosse.