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Il n’est pas difficile de comprendre quelle heureuse influence une vie aussi active doit avoir sur la moralité de ces hommes, chez lesquels on ne retrouve aucun des vices qui dégradent l’ouvrier des villes.

Enfin les forêts rendent un dernier service à l’agriculture, celui d’orner le paysage : il semble au premier abord qu’à ce titre elles ne devraient intéresser que l’artiste ou le citadin en vacances ; mais, si en embellissant la campagne les forêts la font aimer, il faut bien que l’économiste lui-même se préoccupe d’un sentiment qui agit puissamment sur la population rurale. Les bois donnent partout un air de vie et de gaieté qui épanouit l’âme humaine en la fortifiant, et dont on ne se rend bien compte qu’en présence de l’aspect triste et morne qu’offrent les champs privés d’arbres. L’Europe entière connaît le panorama Unique au monde qui se déroule devant le spectateur placé près du moulin de Longchamps. Supprimez par la pensée le bois de Boulogne, que vous avez à votre gauche, les forêts de Fausse-Repose et de Ville-d’Avray, qui couronnent les coteaux depuis Suresnes jusqu’à Versailles, celle de Meudon, qui s’élève derrière le viaduc, sur les hauteurs de la rive gauche : que restera-t-il de ce splendide paysage ? Des champs grillés par le soleil, blanchis par la poussière, des maisons sans ombre et sans abri qui vous feraient regretter la ville et son horizon rétréci les jours mêmes où la canicule fond sous nos pieds le bitume des boulevards. La beauté du paysage a de tout temps été pour les Anglais et les Américains l’objet des plus vives préoccupations ; c’est au point qu’il n’existe pour ainsi dire pas chez eux un seul traité d’agriculture où il ne soit question de l’effet des forêts ou des bouquets d’arbres sur le scenery. Tandis que nous ne songeons, nous, qu’à embellir nos villes, ils ne pensent, eux, qu’à orner leurs campagnes, et cela se conçoit, car elles sont leur séjour habituel, et ils se hâtent d’y retourner dès que leurs affaires ne les retiennent plus à la ville : chez nous, c’est l’inverse ; au lieu d’être l’habitation ordinaire, la campagne n’est le plus souvent pour nous qu’un pied-à-terre. Pour qu’aux yeux de gens aussi positifs cette question ait une telle importance, il faut qu’elle soit en réalité moins futile qu’elle ne paraît d’abord, et qu’elle présente un côté utile et sérieux : peut-être en effet ne faut-il pas attribuer à une autre cause qu’à la monotonie de nos plaines dépouillées l’absentéisme qui est une des plaies de notre agriculture, et il est hors de doute que la présence de forêts convenablement disposées parviendrait à retenir chez eux nombre de propriétaires qui ont hâte de quitter leur triste domaine aussitôt qu’ils ont touché leur fermage.

Des différens services que nous venons d’énumérer, et dont l’agriculture