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était commune, comme elle l’est encore aujourd’hui pour les Indiens du Nouveau-Monde ou les squatters australiens ; mais, lorsqu’on commença à cultiver la terre, il fallut bien garantir la propriété des moissons à ceux qui avaient fait les semailles, et celle du sol à ceux qui avaient fait les travaux nécessaires pour le rendre fertile. Pour les forêts, il n’en fut pas ainsi ; la jouissance commune, qui ne compromettait en aucune façon leur existence tant qu’elle n’arrivait pas à l’abus, continua d’être la règle. Elle existait chez les barbares, et se perpétua par les droits d’usage lorsque les seigneurs s’emparèrent de ces propriétés. Aujourd’hui encore l’affouage dans les forêts communales n’est pas autre chose que la jouissance commune mise en harmonie avec nos institutions actuelles. Les bois n’y sont pas vendus au profit de la caisse municipale, mais ils sont partagés en nature entre les habitans pour, être employés par eux à leur usage personnel.

Ce caractère de jouissance commune, qui, pendant tant de siècles, a été le trait distinctif de la propriété forestière, joint à la persuasion qu’elle ne pouvait appartenir à personne, mais qu’elle devait être à tous, a eu pour elle, comme nous l’avons dit, les plus fâcheuses conséquences, et a puissamment contribué au développement des nombreux délits dont elle est journellement victime. On ne saurait croire en effet combien est répandue cette idée, que le délit forestier n’est pas un vol, et combien il se trouve de gens qui, trop scrupuleux pour prendre un épi dans un champ cultivé, n’hésitent pas à abattre et à s’approprier les plus beaux arbres de la forêt voisine. Et, chose plus grave encore aux yeux de bien des personnes, ces délinquans sont presque excusables ; les tribunaux eux-mêmes semblent partager l’erreur générale et se montrent quelquefois à leur endroit d’une indulgence inexplicable. L’administration forestière, à qui est confiée la gestion des bois de l’état et des communes, voit trop souvent ses efforts impuissans se briser contre une si déplorable prévention. À entendre les attaques dont elle a toujours été l’objet et qui se sont produites jusque dans nos assemblées législatives, on dirait vraiment que les intérêts qu’elle défend ne méritent aucune protection, et que les maraudeurs qu’elle poursuit sont seuls dignes de toutes les sympathies.

Pour bien apprécier les services qu’elle rend, à ne parler pour le moment que de la répression des délits, il faut avoir suivi le garde forestier dans les différentes phases de ses utiles fonctions. Moyennant un traitement annuel de 500 fr., ce modeste préposé est chargé de la surveillance exclusive d’une étendue de forêt qui varie ordinairement de 400 à 600 hectares, mais qui s’élève quelquefois bien au-delà. Les plus heureux, logés en maison forestière, habitent