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fâcheuse quand le sol est peu propre à l’agriculture, est souvent une mauvaise spéculation, même sur les terres les plus fertiles. Nous connaissons telles forêts, situées dans les parties les mieux cultivées de France, dont le revenu en bois est supérieur à celui des meilleures terres arables de la localité, et dont le défrichement serait par conséquent préjudiciable à l’intérêt général. Quoi qu’il en soit, ce ne sont pas aujourd’hui les terres qui font défaut à l’agriculture, ce sont les capitaux, si malheureusement détournés en ces dernières années vers les spéculations industrielles. Défricher les forêts, quand on manque du capital nécessaire pour mettre en valeur le sol qui les supporte, c’est fournir un nouveau contingent au chiffre déjà si élevé de nos terrains en friche. La Bretagne, la Sologne, la Champagne, la Provence, autrefois très boisées, ont été, par le défrichement, transformées, dans certaines parties, en déserts improductifs. Le reboisement est aujourd’hui le seul moyen de leur rendre leur ancienne prospérité.

Nous trouvons enfin dans la nature même de la propriété forestière un autre motif du peu de respect dont elle est l’objet de la part des populations. Les forêts en effet croissent spontanément ; ou à peu près ; elles n’exigent ou du moins n’ont exigé pendant longtemps l’incorporation d’aucun travail ni d’aucun capital : elles n’avaient donc pas jusqu’alors subi cette consécration qui constitue la propriété. Bien longtemps avant que Charles Comte, et après lui Bastiat, nous eussent appris que le travail, antérieur ou actuel, est le seul principe véritable de la propriété, l’instinct public l’avait pressenti, et, faisant peu de cas du droit de premier occupant, il se refusait à admettre que la forêt, dont la création n’avait exigé aucun effort, pût appartenir à quelqu’un. Elle devait donc, d’après lui, être à tout le monde, et tout le monde devait avoir le droit d’y puiser le bois dont il avait besoin. Les forêts furent ainsi pendant fort longtemps considérées par tous comme la propriété du corps social, et c’est pour ce motif qu’elles sont restées jusque dans ces derniers jours entre les mains du roi, des communes, des couvens ou des seigneurs, qui représentaient tous plus ou moins un intérêt collectif. Elles ne sont devenues propriétés particulières qu’à la suite de donations ou d’aliénations, et ce n’est guère que depuis 89 qu’elles sont entrées d’une manière absolue dans la circulation au même titre que celles-ci.

Ajoutons du reste, comme le fait avec raison remarquer M. Guillaume Roscher dans son essai sur le principe de l’économie forestière, que la nécessité d’une appropriation privée était pour les forêts beaucoup moins flagrante que pour les terres arables. Dans l’origine en effet, la jouissance des terrains de chasse et des pâturages