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Parmi les personnages des derniers temps de Rome, il en est un dont on parle beaucoup, que l’on connaît peu, et qui mérite pourtant d’être étudié : c’est Odoacre. On en a fait un conquérant venu du Nord avec d’effroyables Barbares pour enlever aux Italiens le tiers de leur territoire. Ce mot de conquête appliqué aux événemens du Ve et du VIe siècle, semble tout expliquer sans peine, et au fond dispense de rien expliquer. Odoacre ne venait point en conquérant des bords du Danube, où il n’avait jamais régné ; il sortait de la garde impériale romaine, où il était soldat. Son rôle ne fut pas celui d’un chef de sauvages s’abattant sur un pays civilisé et s’y partageant les hommes, les villes et les champs ; Odoacre, chef d’une révolte des troupes romaines, fut un dictateur militaire comme Sylla, comme Jules César, comme Auguste ; il récompensa comme eux ses vétérans et ses jeunes soldats en imposant pour contribution de guerre à l’Italie une portion de son territoire ; seulement ces recrues et ces vétérans étaient des Barbares, et le dictateur lui-même un Barbare, parce qu’il n’y avait plus alors que des Barbares sous le drapeau de Rome. On se sert donc d’une formule erronée quand on écrit : « Odoacre conquiert l’Italie, Odoacre fonde un royaume barbare en Italie. » Rien n’est plus propre que de telles formules à faire dévier l’histoire de son vrai sens. Odoacre ne s’appela jamais roi d’Italie, aucun contemporain ne lui donne ce titre ; il fut roi de ses soldats et patrice gouvernant l’Italie, avec l’agrément du sénat de Rome au nom de l’empereur d’Orient.

J’essaierai d’exposer brièvement ici les événemens qui amenèrent la suppression de l’autorité impériale en Occident, et de bien définir la nature du pouvoir substitué par Odoacre à celui des césars. Mon but est de mettre en saillie non pas seulement le caractère de cet aventurier fameux, mais généralement celui des Barbares qui participèrent au maniement des affaires romaines dans cette période suprême de l’empire : classe particulière de Barbares qui sert de transition entre le Barbare pur et le Romain.

Odoacre se montre à nous dans l’histoire flanqué de deux personnages à physionomie étrange : l’un est un ancien secrétaire d’Attila, le Pannonien Oreste, père de l’enfant qui vint clore la liste des césars ; l’autre est un moine, fondateur d’un petit royaume théocratique, sur le versant septentrional des Alpes tridentines et juliennes. Ce moine, honoré par l’église sous le nom de saint Séverin, donna le plus parfait modèle de ces gouvernemens spirituels établis d’un commun consentement, au nom de la morale et de la religion, sur les ruines du gouvernement temporel, et qui, dans les formules de l’époque, prenaient parfois le nom de gouvernement de Dieu. Séverin ne fera qu’apparaître dans ce récit, son action étant restée