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Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 21.djvu/972

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ce fut pour déclarer au monde qu’il avait renoncé volontairement à ce trône des césars qui n’apparaissait plus dans ses rêves que flanqué des têtes de son père et de son oncle, et demander que de si futaies aventures finissent avec lui.

Qu’on ne croie pas au reste que cette chute de l’empire romain d’Occident fit chez les contemporains autant de fracas qu’elle en a fait depuis dans l’histoire. C’était un événement préparé par un siècle de revers constans, annoncé par la politique, prédit par la religion, et attendu, pour ainsi dire, à jour fixe.

Une inexplicable fatalité plana sur Rome dès son berceau. La ville de Romulus, on ne peut le nier, connut presque en naissant ses futures destinées : elle sut qu’elle dominerait le monde, et que sa puissance s’éteindrait au bout de douze siècles. La légende des douze vautours apparus à son fondateur dans l’augure du mont Palatin fut l’expression de cette croyance instinctive fortifiée de toute l’autorité de la science augurale. Les aruspices toscans avaient en effet déclaré que les douze vautours de Romulus signifiaient douze siècles de puissance, après lesquels le sort de Rome serait consommé. Cette foi politique, déjà en vigueur aux plus beaux temps de l’époque républicaine, se transmit de génération en génération, avec orgueil tant qu’on fut loin du terme, avec crainte quand on le vit approcher, et comme on ne s’accordait point sur l’époque historique de la fondation de la ville, comme on différait également sur la durée du siècle tel que le comprenaient les aruspices toscans, chacun supputait à sa guise, mais tous attendaient.

D’après la chronologie la plus généralement reçue, Rome avait dépassé le milieu de son XIe siècle lorsqu’Alaric la prit et la saccagea. On put croire alors l’augure accompli, en négligeant une différence de quelques années[1]. Après le départ des Goths, on se remit à espérer et à calculer encore. Lors du second sac de Rome par Genséric, en l’année douze cent septième depuis sa fondation, quatre cent cinquante-cinquième depuis Jésus-Christ, on déclara l’heure fatale définitivement arrivée. « Le douzième vautour vient d’achever son vol ; ô Rome, tu sais ton destin[2] ! » s’écriait Sidoine Apollinaire, chrétien convaincu, mais imbu comme tout sujet romain des traditions superstitieuses de la ville aux sept collines. Dès lors en effet commença la vraie agonie de l’empire, soumis à des maîtres

  1.  : :Tune reputant an nos, interceptoque volatu
    Vulturis, incidunt properatis saecula metis.
    (Claudianus, p. 130, T. 65, De Bella Getico.)
  2.  : :Jam propè fata tui bissenas vulturis alas
    Complebant, scis namque tuos, scis, Roma, labores !
    (Sidon. Apollin., Carm, VII, v. 337.)