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mètre. C’était le point fort de l’armée autrichienne ; le point faible au contraire était la droite : là, les Autrichiens n’étaient appuyés à rien. Si nous passions le Tessin aux environs de Novare, nous étions à quelques lieues de Milan, nous tournions l’armée autrichienne, nous rendions inutiles entre ses mains Pavie, Plaisance et la forte position du Pô, et nous l’obligions à rétrograder au moins jusqu’à l’Adda. Il est naturel que l’on désire être attaqué par son ennemi là où l’on se sent fort, mais il est naturel aussi que cet ennemi ne cherche à vous attaquer qu’au point où vous êtes le plus faible, et où en même temps le succès doit entraîner les conséquences politiques et militaires les plus considérables. Le général Giulay semble avoir répugné à entrer dans les considérations qui devaient décider l’armée alliée ; il s’est obstiné à croire uniquement, jusqu’à ce que les événemens aient rendu une plus longue illusion impossible, à ce qu’il désirait. Il se disait sans doute qu’un mouvement tournant de l’armée française était une opération hardie jusqu’à la témérité, car si l’armée française était coupée dans sa marche de flanc, elle se serait trouvée dans une position cruelle ; mais cette considération, au lieu de rendormir, eût dû exciter sa vigilance, car c’était par la vigilance et la promptitude qu’il pouvait tirer profit de notre témérité. Or, à partir du 28 mai, notre mouvement, pour peu qu’il fût surveillé, n’était pas difficile à deviner. Placés vis-à-vis de Valence, ayant des vedettes au clocher de Frascarolo, les Autrichiens étaient pour cela en bonne position. « Les troupes du général Mac-Mahon, nous écrit-on, étaient entrées dans Valence musique en tête, et l’officier qui commandait le détachement autrichien sur l’autre rive du Pô, et que je voyais moi-même braquer sa longue-vue sur la ville, aurait pu compter sans la moindre difficulté le nombre des régimens et des pièces qui ont passé par Valence dans l’espace de deux jours. » La franchise est quelquefois la meilleure des ruses, et c’est peut-être la publicité donnée au mouvement des corps français qui acheva de tromper les Autrichiens, car, le jour même où s’exécutaient ces mouvemens, la Gazette de Milan publiait un rapport du quartier-général autrichien où il était dit que le général en chef comprenait tous les avantages de sa position, et qu’il savait que l’ennemi le menaçait, soit à sa gauche, d’une attaque du côté de Bobbio, soit d’un passage du Pô en aval de Valence, entre la gauche et le centre. Le rapport disait que l’armée autrichienne était prête à nous recevoir dans ses positions, et qu’elle ne se laisserait pas tromper par de feintes attaques du côté de Palestro et de Novare. Si en parlant ainsi les Autrichiens étaient de bonne foi, et des correspondances envoyées de leur quartier-général à des journaux étrangers nous autorisent à le penser, l’on comprendra sans peine le désordre qu’a dû répandre parmi eux la nouvelle d’une puissante attaque sur leur extrême droite, où, après avoir repoussé la reconnaissance du général Cialdini sur Borgo-Vercelli, ils croyaient n’avoir devant eux que de faibles détachemens.

Cette confiance erronée et persistante des Autrichiens nous a évidemment porté bonheur. L’attaque de l’armée sarde sur Palestro masquait en effet le mouvement tournant de l’armée française vers Novare et le Tessin. Si la position de Palestro eût été défendue par cinquante mille hommes, l’armée française, au lieu de défiler vers le Tessin, eût été forcée de venir attaquer elle-même les Autrichiens à Palestro, et n’aurait pu les en déloger qu’en