Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 22.djvu/1008

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

il faudrait prendre garde de tomber dans l’excès opposé. Ce défaut est encore plus apparent dans le volume de nouvelles recueillies sous ce titre : les Mariages de Paris, car, dans ces nouvelles, l’intérêt du récit, étant d’un ordre inférieur et quelque peu vulgaire, n’est pas assez fort pour occuper l’attention du lecteur et le distraire des mille détails de la composition et du style. Germaine est donc en un sens un véritable progrès dans la manière de l’auteur, et j’en dirai autant d’une œuvre récente qui n’a pas eu et qui ne méritait pas le succès de ses aînées, mais qui comptait des pages charmantes, d’une tournure poétique et même rêveuse, à laquelle l’auteur ne nous avait pas habitués. Il y a, si j’ose ainsi parler, plus d’âme dans Germaine que dans les autres livres de M. About ; l’air y circule davantage, la nature y est moins voilée, sans que pour cela le récit perde rien de sa rapidité agréable. Germaine possède encore une autre qualité pour celui qui étudie le talent de M. About. Ce livre révèle d’une manière saisissante un des caractères les plus heureux de ce talent. Au fond, l’histoire contenue dans ce récit est une histoire sinistre et malpropre au possible : c’est une histoire de cour d’assises. Tous les détails en sont équivoques, quand ils ne sont pas infects, et pourtant cette histoire ne choque pas. Supposez qu’elle eût été contée par un autre de nos romanciers, et il faudrait peut-être serrer le livre avec soin après l’avoir lu, de peur qu’il ne tombât sous des yeux indiscrets qui ne doivent pas le lire. M. About au contraire s’est tiré avec une dextérité merveilleuse de cette scabreuse anecdote. Les motifs équivoques par lesquels est expliqué le mariage de Germaine et de don Diego paraissent tout naturels et ne scandalisent pas un instant le lecteur. On pardonne au vieux duc son épouvantable égoïsme, comme le lui pardonnait sa sainte femme elle-même ; ce qu’il y a d’horrible dans ce caractère, l’auteur l’a laissé expliquer par Gavarni en deux mots cyniques et expressifs : « Mon mari ! un chien fini, mais le roi des hommes ! » sans prolonger un commentaire qui aurait pu devenir choquant. De Mme Chermidy, qui a été si souvent mise en scène dans la littérature contemporaine, il dit simplement : « C’était une coquine, capable de tout ! » et il le prouve sans insister et sans avoir besoin de nous faire pénétrer dans cette âme fangeuse. Lorsque Mme Chermidy doit mourir, on ne voit pas même le couteau du forçat, et lorsque le vieux duc perd la raison, un seul détail sinistre, un cri d’oiseau sauvage répété avec monotonie, suffit pour nous éclairer sur l’abîme de dégradation physique et morale dans lequel est tombé le malheureux. Je n’ai jamais lu une histoire révoltante racontée avec autant d’adresse.

J’ai peu de choses à dire des autres œuvres de M. About. Le