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gagne jamais rien à remuer les questions religieuses ; M. About en sait sans doute quelque chose, puisqu’il y a gagné la suppressio, de son livre et quelque autre récompense encore. D’autres que lui ont fait cette expérience et ne s’en sont pas mieux trouvés.

M. About s’est fait une réputation d’habileté aussi grande pour le moins que sa réputation littéraire. Cette réputation est-elle méritée ? Question controversable : ce qui est certain, c’est qu’il a su tirer de son talent tout le parti qu’il en pouvait tirer et qu’il lui a fait rendre tout ce qu’il pouvait donner. Ce qui est certain aussi, c’est qu’il n’a rien négligé pour enchaîner le succès. Il connaît, je n’en doute pas, les ressources que peut fournir l’association, les secours qu’on peut demander aux francs-maçonneries de tout genre. Bon camarade, il n’a certainement jamais refusé l’appui de ses amis, pas plus qu’il ne leur a refusé le sien. Esprit sociable et pratique, il n’a probablement jamais dédaigné les avances de ses inférieurs, car s’il a de la malice agressive, je le crois dépourvu de morgue et de hauteur. Il s’est soigneusement mis en garde contre les attaques éventuelles des ennemis qu’il pourrait avoir un jour, et pour montrer qu’au besoin il serait redoutable, il s’est escrimé parfois imprudemment contre des gens qui peut-être ne s’attendaient guère à ses agressions, et qui ont ainsi joué le rôle d’épouvantail pour ses futurs ennemis. Il a voulu que son talent lui procurât une vie large et facile ; il y a réussi. Il a aspiré, sinon aux honneurs, du moins aux signes honorifiques ; il les a obtenus. Voilà ce que beaucoup de gens disent et répètent à l’envi ; mais est-ce bien réellement de l’habileté, et ne vaudrait-il pas mieux appeler tout cela activité fébrile et impatience ? L’homme véritablement habile se ménage et cache son habileté : M. About ne s’est ni ménagé ni caché. Il a montré au contraire en mainte occasion tant d’imprudence qu’on peut dire qu’il est né sous une heureuse étoile, et qu’un autre aurait sombré là où il a pris pied et surnagé. Il a chauffé à blanc la locomotive sur laquelle il était monté, sans songer qu’elle pourrait éclater et le blesser mortellement. Il a dépensé son talent en prodigue, sans compter, au risque de l’épuiser, et de provoquer des comparaisons fâcheuses entre les espérances que promettait son esprit et les œuvres qu’il a données. M. About ne s’est pas mieux caché qu’il ne s’est ménagé. On doit lui rendre cette justice, que ce qu’il a fait, il l’a fait en plein jour, et que tout Paris a pu assister à cette course au clocher vers la célébrité qu’il a menée à bonne fin. Ses médisances, il les a imprimées, signées en toutes lettres de son nom, si bien qu’il a recueilli tous les inconvéniens de ses malices sans profiter beaucoup de leurs bénéfices. Les réclamations sont tombées sur sa tête dru comme grêle, et Dieu sait si elles ont été parfois d’une nature désagréable.