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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.




14 août 1859.

Comment pourrions-nous nous soustraire à l’ardente et éclatante sensation qui, à l’heure où nous écrivons, absorbe la population parisienne, grossie de ces torrens d’excursionistes que, depuis deux jours, les chemins de fer dégorgent d’heure en heure dans la ville en fête ? Les esprits politiques, même les moins prévenus en faveur des terribles jeux de la guerre, ne méconnaissent point ce que ces spectacles ont d’émouvant, de grandiose et d’utile. Il est touchant de voir ces soldats, enfans du peuple, rentrer fièrement, après le devoir rempli, au milieu de ce peuple qui s’admire en eux. De ces armes qui ont répandu la mort, de ces intrépides visages qui viennent de la regarder en face, il s’échappe une électricité héroïque qui pénètre les foules et les sature du sentiment de la puissance et de la gloire nationales. Il n’y a pas de plus noble et de plus belle allégresse populaire. Ces grandes scènes ne sont point stériles, l’imagination en garde d’ineffaçables empreintes ; agrandies encore et couvertes par le souvenir d’une lumière plus poétique, elles sont des excitations incessantes à ce naïf et merveilleux dévouement des masses, dont les prodigues sacrifices font la grandeur militaire d’une nation et d’un gouvernement. Mais plus on participe soi-même à ces émotions patriotiques, et moins l’on voudrait que la fête guerrière fit oublier le caractère cruel et morne de la guerre. Il y a du sang, des douleurs, du deuil à travers ces pompes ; il ne faut pas que la décoration et l’arrangement de la fête le laissent oublier, il ne faut pas que les ordonnateurs et les machinistes fassent dégénérer en un étourdissement de curiosité matérialiste le défilé de l’armée qui vient de combattre et de vaincre. Il faut que l’âme soit présente ; la vérité du sentiment prescrit aux apprêts de ces représentations grandioses un caractère sobre et sévère. Aussi ne voyons-nous point avec plaisir une partie de la ville disposée en théâtre et ces places transformées en colysées. Dans ce travail des coulisses que l’on fait nécessairement sous les yeux du public, l’on nous laisse voir trop de charpentes. L’antiquité comprenait mieux les contrastes qui conviennent au triomphe et ce fonds de hasard et de douleur qui plane sur les guerres, même les plus heureuses. C’était par l’éloge des guerriers morts que les Athéniens célé-