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deux armées du roi investissant la ville, et toutes prêtes, s’il le fallait, à lui porter les derniers coups.

Le prince de Conti était fort tranquille : son traité particulier avec la cour était définitivement conclu, il ne s’agissait plus pour lui que d’échapper aux soupçons et aux violences des ormistes, et d’arriver sain et sauf au dernier acte de ce triste drame; mais la princesse de Condé, Mme de Longueville, Marsin et Lenet, qui voulaient rester fidèles à Condé, étaient au comble de l’anxiété. Marsin n’ignorait pas le sort qui l’attendait; il savait bien qu’après sa trahison de Barcelone, s’il était pris les armes à la main, il porterait sa tête sur un échafaud. Il se jetait donc au plus épais de l’Ormée, ne voyant plus de ressource que dans les derniers efforts du désespoir, et invoquant, ainsi que son général, le calvinisme, la république, la domination anglaise et la domination espagnole, plutôt que de tomber vivant entre les mains de Mazarin. Les trois députés de la ville de Bordeaux ou plutôt de l’Ormée auprès de la république d’Angleterre, Trancas, Blarut et Dezert, conservaient l’espérance d’en obtenir des secours, et dans le mois de juin ils transmirent une proposition positive et formelle de Cromwell qui ranima un moment le parti des princes.

C’est l’abbé de Cosnac, si bien informé, qui nous donne ce précieux renseignement[1]. Cromwell, à ce qu’écrivait Trancas, proposait un secours très considérable d’hommes et d’argent, et s’engageait à chasser les troupes du roi de toute la province, mais à une condition fort dure, il est vrai : c’est qu’au lieu de lui donner Bourg ou Blaye dans la Gironde comme places de sûreté, on lui remettrait la ville même de Bordeaux. Marsin et tous les gens aussi compromis que lui ne demandèrent pas mieux que d’accepter cette proposition, désastreuse pour la France, mais qui leur était une chance inespérée de salut. Cosnac assure que le faible et capricieux Conti, qui avait déjà signé un traité bien différent, intimidé par Marsin et par l’Ormée, et même ébloui des avantages qu’on lui faisait voir dans les offres de Cromwell, était tenté de les agréer et de les autoriser de son nom. L’abbé prétend que c’est lui qui arrêta le prince. Il se vante peut-être, pour faire valoir ses services; mais il est impossible qu’il n’y ait pas quelque fonds de vérité dans son récit : il mérite d’être mis sous les yeux du lecteur. « Je crois pouvoir dire que je rendis en cette occasion un service important à mon roi, à mon maître et à l’état. Je m’opposai fortement en particulier à une si pernicieuse résolution. Je représentai à M. Le prince de Conti le danger qu’il courrait en rendant Cromwell le maître d’une ville en

  1. Mémoires, t. Ier, p. 68.