Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 22.djvu/144

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

laquelle résidait toute sa puissance; la honte dont il se couvrirait, lui qui était ecclésiastique, d’établir un hérétique dans une ville catholique, lui qui était prince du sang de France, un tyran qui, ayant fait mourir son roi, ne manquerait pas de le traiter de même, pour peu qu’il lui fût utile d’en user de la sorte. Si M. Le prince de Conti eût accepté les offres de Cromwell, je ne doute pas que Cromwell, de son côté, n’eût tenu les paroles que Trancas avait données pour lui; mais ce prince fut arrêté par mes remontrances, et ayant examiné ensuite de plus près le danger qu’il y avait dans cette affaire, il s’en dégoûta peu à peu, et par là donna le temps au monde qui s’était échauffé au premier bruit de cette nouvelle de se refroidir aussi.»

Cependant les généraux de Mazarin, avertis de cette négociation, et redoutant de voir tout à coup une flotte anglaise rallier la flotte espagnole et s’avancer dans la Gironde jusqu’à Bourg, où elles auraient trouvé un puissant appui, résolurent de les prévenir et de s’emparer d’une ville qui dominait le cours de la Dordogne et celui de la Garonne, et couvrait à la fois Libourne et Bordeaux. Le duc de Vendôme l’assiégea du côté de la Dordogne, le duc de Candale et le comte d’Estrade du côté de la terre, et le 29 juin la tranchée fut ouverte. Il y avait une nombreuse garnison espagnole, commandée par un chef estimé, don Joseph Ozorio, qui avait succédé au baron de Vateville. Marsin, sentant le prix d’un tel poste, s’apprêtait à marcher à son secours, lorsqu’il apprit que le 3 juillet Bourg avait capitulé après trois attaques assez faibles[1]. Il n’y eut qu’un cri d’indignation contre une aussi molle défense; aussi à peine don Ozorio eut-il mis le pied en Espagne, qu’il fut arrêté, mis au château de Saint-Sébastien, livré à un conseil de guerre et condamné à avoir la tête tranchée[2]. Bientôt après, le duc de Vendôme prit Lormont, village fortifié sur la Gironde, à très peu de distance de Bordeaux, où la garnison, tout irlandaise, ne se défendit guère mieux que la garnison espagnole de Bourg. En même temps on alla mettre le siège devant Libourne, dont le fidèle gouverneur, le comte de Maure, était alors à Bordeaux, et Libourne se rendit au comte d’Estrade le 17 juillet, avec ses deux voisines, Castillon et Saint-Emilion.

Restait Bordeaux, réduite à elle-même, n’ayant plus de secours à attendre d’aucun côté, assez bien fortifiée, et guidée par le reste des troupes de Marsin et par les bandes de l’Ormée, mais qu’il n’eût pas été très difficile d’emporter d’assaut par des attaques de terre et de mer bien combinées, en se résignant à voir couler de part

  1. Gazette, p. 678, et pour les détails du siège et de la capitulation, p. 681-682.
  2. Balthazar, Histoire de la Guerre de Guienne, édition de M. Moreau, p. 365.