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une vive sollicitude. La colonie renferme 70,000 Chinois, et seulement 300 Chinoises. Cette infériorité numérique du beau sexe est pour le moins très affligeante, et la morale ne s’en accommode guère. Si les négocians de Singapore n’étaient pas si occupés à faire vite fortune, ils auraient avisé aux moyens de favoriser l’importation des femmes chinoises ; ils laissent ce soin aux philanthropes de la métropole, qui trouvent là une belle occasion de meetings et le thème d’abondantes dissertations sur la statistique des sexes, M. Cooke effleure à peine ce sujet scabreux, qu’il se borne à indiqeur par une réminiscence biblique : il lui tarde d’arriver à Hong-kong, sur le sol de la vraie Chine, au milieu même des événemens qu’il est chargé de raconter.

Victoria, la capitale de Hong-kong, se trouve, on le comprend sans peine, dans un grand émoi. Les négocians, chassés de Canton par les approches de la guerre, y ont cherché refuge. Plusieurs régimens anglais sont déjà débarqués ; le port est plein de navires, et l’on attend d’un jour à l’autre lord Elgin. Tout est encombré, les logemens sont hors de prix ; encore si dans cette place d’armes, et à l’abri des baïonnettes anglaises, on pouvait se croire en sûreté ! Mais non : il faut se défier des Chinois, qui forment la majeure partie de la population. Les plus paisibles citoyens en sont réduits à ne plus sortir sans avoir des pistolets dans leurs poches ; des soldats montent la garde à tous les coins de rue, des patrouilles parcourent incessamment la ville. La nuit venue, chacun renvoie ses domestiques chinois, ces pauvres boys à longue queue dont les voyageurs ont jusqu’ici vanté le caractère très inoffensif ; on ne s’endort que sous la garde d’une sentinelle malaise, fusil chargé. Telles sont les premières impressions de voyage de M. Cooke. Comment se fait-il que les Anglais, généralement peu enclins aux terreurs paniques, paraissent si effrayés ? C’est que le mandarin Yeh a le bras long. On sait qu’il entretient à Hong-kong bon nombre d’espions, et un assassinat est bientôt commis. D’ailleurs tous les Chinois de Victoria, domestiques, coolies, boutiquiers, qui ont laissé leurs familles sur la terre ferme, sont forcément à la discrétion du vice-roi de Canton, et les Anglais n’exercent plus sur eux qu’une autorité à peu près nominale. Les précautions ne sont donc pas inutiles. Yeh aurait bien voulu interdire toutes communications avec Hong-kong, empêcher les transports de vivres et affamer la petite île : c’est le moyen que ses prédécesseurs ont essayé à plusieurs reprises d’employer contre Macao, lorsqu’ils avaient à se plaindre du gouverneur portugais. Toutefois, si les denrées sont chères à Hong-kong, elles sont plus chères encore dans le sud de la Chine, où la récolte a manqué, de telle sorte que Canton se voit obligé d’acheter aux Anglais, sous peine de famine, d’énormes quantités de riz. Les négocians de Hong-kong pro-