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fitent en conséquence des derniers jours de libre commerce pour vendre aux Chinois, et à des prix exorbitans, tous les approvisionnemens dont ils disposent. Ils ne tirent point quant à présent d’autre vengeance des frayeurs qu’ils éprouvent à Hong-kong. C’est une vengeance toute britannique.

M. Cooke ne songe pas à s’endormir dans les délices de Victoria. En quelques traits de plume, il trace le croquis de cette petite ville, qui, s’élevant en amphithéâtre sur le flanc d’une montagne, domine un beau port dont les eaux calmes et transparentes rappellent un lac d’Ecosse. Victoria est un véritable tour de force. Je l’ai visitée, alors que l’on venait à peine de bâtir les premières maisons et que le sol fraîchement remué exhalait encore les émanations pestilentielles qui ont fait tant de victimes. C’était plutôt le terrain d’une course au clocher que l’emplacement d’une ville ; mais les Anglais vont vite, surtout lorsqu’ils sont aidés par les Chinois. En peu d’années, la cité fut construite, une cité complète avec temples, casernes, hôpitaux, clubs, etc. La population, qu’avait effrayée d’abord l’insalubrité du climat, ne tarda point à se porter vers la nouvelle colonie, où les affaires commerciales, favorisées par des communications régulières avec l’Europe, prenaient chaque année une plus grande extension. Au point de vue militaire et maritime, Victoria est pour les Anglais un point stratégique très important, sur le seuil même du Céleste-Empire, à l’embouchure de la rivière de Canton. C’est là que se sont réunies les escadres et les troupes destinées à opérer contre la Chine ; c’est Là que le correspondant du Times établit d’abord son quartier-général et brûle ses premières cartouches, c’est-à-dire écrit ses première lettres au public anglais.

Aussi bien l’heureuse étoile de M. Cooke lui ménage, dès son arrivée, le spectacle d’un combat naval. Déjà, pendant les journées du 25 et du 26 mai 1857, une petite escadre, sous les ordres du commodore Elliott, avait détruit une centaine de jonques de guerre. Une seconde expédition, dirigée par l’amiral sir Michael Seymour, remonta l’une des branches de la rivière de Canton jusqu’à Fatschan, où se trouvaient au mouillage soixante-dix jonques, protégées par un fort et par des batteries. Tout était préparé pour une énergique défense. La lutte s’engagea le 1er  juin ; en quelques heures, les jonques étaient coulées ou avaient sauté en l’air sous le feu des Anglais. Cela, en vérité, n’est pas étonnant, les Chinois n’ayant pas fait encore de grands progrès dans la tactique navale et ne pouvant guère avec leur mauvaise artillerie lutter contre les canons européens. Les forts furent successivement pris à la course, et les jonques à l’abordage. Les Chinois ont d’ailleurs une singulière théorie ou plutôt une étrange pratique dans l’art de défendre une position. À distance et avec l’ennemi en face, ils brûlent volontiers leur poudre, et ils