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profit quelconque est en jeu. C’est le plus grand reproche que, pendant la dernière lutte, on ait pu adresser à la nation chinoise. La bravoure personnelle n’a point manqué : quelques mandarins se sont fait tuer convenablement à leurs postes ; des artilleurs sont morts à leurs pièces ; l’honneur militaire est demeuré sauf. M. Cooke, dans sa description peut-être un peu épique du combat de Fatschan, n’hésite pas à le reconnaître ; mais ce sentiment collectif qui anime à un même moment tout un peuple contre l’invasion étrangère, cette vigoureuse protestation contre l’ennemi commun, le patriotisme en un mot ne s’est jamais manifesté avec l’élan qui, chez un tel peuple, aussi nombreux, aussi dédaigneux de la mort, eût été irrésistible. C’est ce qui explique comment, en toutes rencontres, les troupes du Céleste-Empire ont été si aisément vaincues par quelques poignées d’hommes. La qualification de barbares, que les Chinois appliquent indistinctement à tous les étrangers, n’est qu’un terme de convention, qui, de la langue orgueilleuse des lettrés et du style officiel des mandarins, est passé dans le langage populaire. Ce n’est qu’un synonyme ; il ne s’y rattache aucune idée de patriotisme. Il vaut mieux pour nous qu’il en soit ainsi. Quelle que soit la résistance du gouvernement et des classes supérieures, le commerce un jour nous livrera la Chine.

Le combat de Fatschan n’était qu’un épisode de la grande lutte qui se préparait. Lord Elgin allait arriver, les renforts étaient en route ; les négocians, désireux de voir se liquider au plus vite la question anglo-chinoise, poussaient aux mesures les plus énergiques ; les officiers et les soldats n’étaient pas moins ardens. M. Cooke, déjà familiarisé avec le bruit du canon, pouvait s’attendre à une laborieuse campagne de correspondance ; mais à peine a-t-il fait sa provision de plumes et d’encre que tombe à Hong-kong la nouvelle de l’insurrection de l’armée indienne. Au premier moment, il a la pensée de prendre le paquebot et de marcher sur l’Inde. Le Times et le public lui en sauront gré. Sa place n’est-elle point partout où se produit quelque événement, quelque incident d’importance ? Voir et raconter, c’est son état. Cependant il se ravise. Il faut près d’un mois pour aller à Delhi, et d’ici là Delhi sera probablement au pouvoir des troupes britanniques. Il faudra un mois encore pour revenir à Hong-kong, et alors Canton aura été pris. Comment risquer de se trouver ainsi entre Delhi et Canton, entre deux assauts, sans rien voir ? On jugera par la disposition d’esprit de M. Cooke que les Anglais, même à proximité des événemens de l’Inde, se faisaient de grandes illusions sur la gravité et sur la durée probable de cette insurrection, dont le foyer, après deux longues campagnes, n’est pas encore complètement éteint. M. Cooke aurait eu largement le temps de se rendre à Delhi. Quoi qu’il en soit, il reste