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Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 22.djvu/193

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affaires de l’état fut en général gauche, peu éclairée et dénuée de toute légitimité.

A quelques belles exceptions près, la noblesse de la restauration ne fut pas plus sage que celle de l’ancien régime. Loin qu’elle ait aidé au développement d’une vie parlementaire où elle aurait eu le plus beau rôle, par un étrange renversement, on la vit, plus royaliste que le roi, nier ou atténuer de toutes ses forces les conséquences libérales de la charte. Telle était son ignorance en fait d’histoire générale et son aveuglement sur ses véritables devoirs, que la plupart de ses membres s’imaginaient que la mission naturelle d’une noblesse est de soutenir le pouvoir absolu. Ils préféraient une servitude dont ils étaient les agens à des libertés qu’ils auraient partagées avec les autres ordres de la nation. Le droit d’humilier la bourgeoisie fut presque le seul auquel ils semblèrent tenir. Leur alliance avec le clergé, assez légitime à l’époque où le haut clergé de France était en quelque sorte, par la façon dont les bénéfices se distribuaient, une annexe de la noblesse, devenait un non-sens depuis que le clergé avait perdu tout caractère politique et avait commencé à se recruter dans les classes populaires. La déplorable tradition du XVIIe et du XVIIIe siècle, Louis XIV et sa splendeur trompeuse, donnaient le vertige à tout le monde. On voulait être de la religion du roi, sans songer que, s’il est désirable que le roi ait une religion et y tienne, il ne l’est pas moins que son action en ce sens se borne à celle qui convient au premier particulier du royaume, et ne dépasse en rien les limites d’une propagande toute privée.

La noblesse, je le sais, n’était pas seule coupable de ces réminiscences du passé qui troublaient si profondément l’établissement d’un ordre nouveau. La nation suivait sa tendance, qui est de préférer la bonne administration et l’égalité sociale à la liberté. Les questions de classes, toujours si fatales aux questions politiques, prenaient une importance exagérée. Le vrai libéral s’inquiète assez peu qu’il y ait au-dessus de lui une aristocratie, même dédaigneuse, pourvu que cette aristocratie le laisse travailler sans obstacle à ce qu’il envisage comme son droit. A ses yeux, il n’y a qu’une égalité solide, l’égalité devant le devoir, l’homme de génie, le noble, le paysan, se relevant par une seule et même chose, qui est la vertu. Les libéraux du temps de la restauration étaient loin de comprendre cette abnégation. De là des alliances fâcheuses avec les partisans des régimes déchus, parmi lesquels la nouvelle jeunesse devait trouver, j’imagine, bien peu de distinction et d’esprit. M. Béranger surtout créa une très perfide combinaison où l’esprit bourgeois, le matérialisme grossier, le goût du despotisme, pourvu qu’il se colore d’apparences nationales, se donnaient la main. Ce qu’il y eut de