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suffise pour opérer des conversions qu’on avait déclaré ne pouvoir faire sur l’autel de la liberté, le parti légitimiste est sans contredit le plus grand obstacle aux destinées de notre pays. Certes il serait mieux qu’une nation poussât la patience et la raison jusqu’à supporter pour l’amour pur du droit les plus pénibles épreuves; mais un tel héroïsme sera toujours rare : notre pays en particulier ne comprend guère qu’il est bon parfois de sacrifier l’esprit à la lettre, et qu’il vaut mieux, pour un malade, se guérir lentement et péniblement selon les principes que de dissimuler le mal par les procédés d’un empirisme trompeur.


II.

La résistance au coup d’état de juillet fut, au point de vue du droit constitutionnel, d’une parfaite légitimité. Les ordonnances portaient atteinte au pacte fondamental de l’état. L’esprit étroit et subtil du roi Charles X et de ses conseillers put seul voir dans l’article 14 un prétexte pour une telle mesure. Jamais on ne doit supposer qu’un pacte a été rédigé de façon à le rendre illusoire. Or il en aurait été ainsi, si l’auteur de la charte y avait inséré un article qui eût permis, en pleine paix et sans provocation de la part de la nation, de suspendre la charte elle-même. Le roi et ses conseillers en avaient si bien la conscience qu’ils se préparèrent à cet acte déplorable comme on se prépare à un attentat. Ils se crurent obligés d’appeler, pour l’exécuter, des survivans d’un autre monde, des hommes amnistiés d’avance par leur imprévoyance et leur légèreté. On cachait à peine, dans le parti fanatique, les efforts que l’on faisait pour s’aveugler et s’exciter à l’audace[1]. « Ce qu’on appelle coup d’état, disaient les organes avoués du cabinet, est quelque chose de social et de régulier, lorsque le roi agit dans l’intérêt général du peuple, agit-il même en apparence contre les lois. » La situation de Charles X était donc celle d’un roi du moyen âge, violant les lois de son royaume, spoliant ses grands vassaux, abolissant les droits des bonnes villes, d’un Jean sans Terre, par exemple, déchirant la grande charte qu’il avait donnée. Tous les casuistes du moyen âge sont d’accord pour déclarer que dès lors la résistance est légitime, puisqu’en violant le pacte, le roi cesse d’être roi et n’est plus qu’un tyran. Dans ce cas, dit énergiquement saint Thomas, c’est le tyran qui est le séditieux[2].

  1. Guizot, t. Ier, p. 351.
  2. « Perturbatio hujus regiminis (tyrannici) non habet rationem seditionis... Magis autem tyrannus seditiosus est (Summa, IIe, IIe, q. XLII, art. 2).