Page:Revue des Deux Mondes - 1859 - tome 22.djvu/219

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

guerre n’importe contre qui, contre la Russie ou contre la France, on se disait : C’est un jeune fou, un cerveau brûlé, et de plus un lyrique allemand; mais qui parle ici? Un homme d’état, le chef d’un puissant parti, au milieu des applaudissemens d’un corps politique, et ces paroles qui n’ont pas pour excuse la fièvre d’un moment, ces paroles méditées, réfléchies, il les jette avec un accent auprès duquel les lyriques fantaisies guerrières de George Herwegh ne paraissent plus que des soupirs modestes. Nous ne voulons pas y méconnaître au fond une inspiration noble; mais n’était-il pas possible de l’exprimer sans prendre le ton du manifeste de Brunswick? La pensée de ce discours est tellement monstrueuse (ungeheuerlich), qu’on a besoin de quelque temps de réflexion pour s’en rendre compte. Ainsi donc il nous faut entreprendre une guerre avec la France, une guerre longue, une guerre sanglante, et ne pas la terminer avant que notre adversaire n’ait été complètement abattu et réduit à l’impuissance de nuire! » M. de Lerchenfeld n’est pas sans doute aussi furieux qu’il voudrait le paraître ; il croit que ces manifestations de l’enthousiasme germanique, ces cris de colère et de haine contre la France nous donneront à réfléchir, et pourront bien empêcher la guerre d’éclater. Voilà pour quel motif l’orateur des libéraux de Munich grossit sa voix de la sorte, et c’est à cela que répond le Messager de la Frontière, lorsqu’il ajoute : « Si nous voulons loyalement le maintien de la paix, le plus mauvais de tous les moyens serait de déclarer avec fracas que l’Autriche, en toute circonstance, pour une cause juste ou une cause inique, peut compter sur notre concours. Une déclaration de cette nature aurait précisément pour effet de rendre la guerre inévitable, car l’Autriche, pour mieux nous enchaîner à elle, aurait intérêt à rejeter les propositions de la diplomatie, même les plus raisonnables. Non-seulement alors l’Allemagne serait coupable d’avoir consolidé un état de choses qui ne peut pas durer, mais elle tomberait elle-même au rang de simple province autrichienne, et assumerait en quelque sorte une charge de vassalité, sans avoir le droit d’exercer jamais aucune influence sur la politique de la maison de Habsbourg. »

Ces paroles étaient écrites au commencement du mois de mars; six semaines après, l’Autriche, ne tenant aucun compte des offres de la France, de l’intervention de la Russie, de la médiation de l’Angleterre, jetait le signal de la guerre en adressant au Piémont une sommation injurieuse. La conduite du cabinet de Vienne n’a-t-elle pas donné pleinement raison au publiciste prussien? Certes, la justesse de l’argumentation que je viens de citer a été vérifiée par les faits d’une manière assez éclatante : pendant les mois de mars et d’avril, l’agitation allemande s’était accrue de jour en jour, et l’Autriche s’était hâtée de la mettre à profit, afin de s’attacher décidément cette Allemagne des états secondaires qui flotte toujours entre les Habsbourg et les Hohenzollern. Sans doute, d’autres motifs encore ont décidé l’empereur François-Joseph à brusquer ainsi les choses; il faut bien cependant prendre