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note de celui-là. L’Allemagne est tourmentée du besoin d’agir; elle demande à cor et à cri un chef qui lui fasse jouer un rôle en Europe; même des publicistes libéraux, M. Kolb et M. Hermann Orges de la Gazette d’Augsbourg, celui-ci sujet du Wurtemberg, celui-là ancien officier prussien, se sont dévoués de cœur à l’Autriche, parce que de toutes les puissances allemandes l’Autriche leur paraît la mieux préparée à représenter l’Allemagne sur la scène du monde. En assumant la responsabilité de l’agression contre le Piémont et la France, l’empereur François-Joseph flattait donc les secrètes passions, les passions les plus vives des états secondaires de l’Allemagne, et enlevait pour longtemps ces états à l’influence prussienne.

L’écrivain dont je résume les études, et avec lui sans doute plus d’un publiciste de l’Allemagne du nord, avaient pourtant redoublé d’efforts pour calmer l’agitation des états secondaires. Le Messager de la Frontière emploie toutes les armes, la raison et la raillerie; il s’adresse tour à tour aux sentimens et aux intérêts; il rappelle aux Allemands les droits de la nation italienne, la sainteté de la cause qu’elle défend, les sympathies que toute âme généreuse lui doit, et il ne craint pas de souhaiter, dans l’intérêt même de l’Autriche, qu’elle renonce à dominer la péninsule. Remarquez pourtant la modération de l’écrivain : il faut certes que les passions allemandes aient été bien vives pour que des vérités si éclatantes aient dû être exprimées avec tant de ménagemens. « Jusqu’à présent, dit-il, quand il était question des Italiens, de leurs aspirations vers la liberté et l’indépendance, on pouvait blâmer l’imprudence de leurs désirs, on ne leur refusait pas du moins une sympathie cordiale. Aujourd’hui ce sentiment national, avec lequel on sympathisait naguère, est devenu tout à coup une prétention souverainement ridicule. Ce peuple qui, pendant des siècles, que dis-je? pendant un millier d’années, a été le maître de la culture européenne, on nous le peint comme un troupeau de lazzaroni, de danseurs de ballets, de Savoyards montrant des marmottes, et, si cette exaltation officielle se prolonge encore quelque temps, on verra bientôt dans le comte de Cavour un galérien échappé, un scélérat qui déjà, dans le sein de sa mère, avait commis plusieurs péchés mortels, et qui depuis lors n’a cessé d’étonner le monde par des forfaits sans nom. Quant à nous, nous ne pouvons changer si vite de sentimens et de convictions. Nous trouvons très faciles à comprendre les efforts que tentent les Italiens pour fonder un état libre et leur penchant à profiter de toutes les circonstances favorables pour atteindre ce but, et si le comte de Cavour semble jouer en ce moment un jeu téméraire, la postérité dira peut-être que ce fut un homme d’état résolu. On se moque des Italiens, ces enfans, dit-on, conduits à la lisière par des jésuites et des moines; mais ces jésuites et ces moines, qui donc les a combattus depuis des années, si ce n’est la Sardaigne? qui donc les a défendus, si ce n’est l’Autriche? Nous trouvons en outre qu’il n’y a pas le moindre intérêt pour l’Allemagne à ce que l’Autriche conserve l’hégémonie en Toscane, à Modène,