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nos contradictions, ignorez-vous les vôtres? Est-ce bien sincèrement que la France a pris en main la cause de la liberté et de l’indépendance italienne, la France qui n’a pas su maintenir sa liberté politique? — Cette objection ne nous embarrasse pas. Si la liberté a disparu dans nos agitations révolutionnaires, nous n’avons pas renoncé à l’espoir de la voir reparaître un jour. Cet espoir, la constitution le permet; d’après de solennelles promesses, l’édifice de l’état n’a pas encore son couronnement. En se montrant si sensible à tout ce qui intéresse la liberté dans le monde, la France acquiert des titres à une vie nouvelle. La liberté politique n’est pas un droit absolu ; on peut la gagner ou la perdre. Quand on ne l’a pas encore, il faut la conquérir sans cesse; quand on la possède, il faut la mériter toujours. Le peuple qui, ayant perdu ce patrimoine, ne chercherait pas à le recouvrer, serait un peuple déjà frappé de mort. La France, Dieu merci, n’en est pas là; l’énergique vitalité dont elle donne tant de preuves est une promesse pour l’avenir. En travaillant à la liberté de l’Italie, nous travaillons à la nôtre. Qu’y a-t-il donc là d’illogique? Au contraire, si la Prusse donnait le signal d’une conflagration européenne, cette guerre si faussement engagée deviendrait une source de calamités sans nombre : tous les rôles seraient bouleversés; les intérêts matériels étoufferaient les intérêts moraux, et l’on verrait de grandes nations, exaltées par la haine au lieu d’être soutenues par des principes, s’entrechoquer dans les ténèbres.

Il est trop tard sans doute pour donner des conseils à l’Autriche; comment ne pas exprimer cependant une pensée qui se présente naturellement à l’esprit en face des dangers que le cabinet de Vienne d’abord et le cabinet de Berlin à sa suite vont peut-être attirer sur l’Allemagne? Il y avait un moyen héroïque et sûr de conjurer tous les périls : c’était de changer enfin de système et d’adopter une politique conforme à l’inspiration du XIXe siècle. Il fallait en premier lieu que l’Autriche osât renoncer résolument à ses possessions italiennes, qu’il lui est impossible de garder. Des Allemands même ont exprimé cet avis, qui est, on peut le dire, l’opinion de toutes les intelligences éclairées d’un bout de l’Europe à l’autre. En échange d’un pouvoir matériel toujours douteux, et dont le maintien lui coûtait tant d’efforts et d’argent, elle gagnait aux yeux du monde une puissance morale qui valait une armée. Ensuite elle devait donner à ses peuples la liberté politique, pour laquelle ils sont mûrs, et que les voix les plus graves, les plus autorisées, n’ont cessé de réclamer depuis la sévère éducation du pays pendant les crises de 1848. Non-seulement l’Autriche se relevait devant l’Europe libérale, mais elle s’assurait au sein de ses états un appui qui peut-être, dans les conditions présentes, ne lui sera pas toujours fidèle. Une savante étude, écrite par un noble Autrichien, et qu’on a lue ici même[1], nous a révélé de bien sé-

  1. Voyez l’Autriche sous l’empereur François-Joseph, par M. G. de Muller, livraison du 1er mai 1858.