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logique, si elle ne contenait dans ses prémisses une erreur commune à presque toutes les philosophies, qui est d’établir entre l’homme et les animaux une séparation complète, un abîme. Or il n’y a pas de milieu : ou il faut reconnaître entre nous et les animaux un système de gradations que justifie la physiologie, ou il faut comme Descartes ne voir dans les êtres animés différens de nous qu’une collection d’automates. Il n’est pas vrai que l’homme soit aux sept classes de l’animalité ce que la lumière blanche est aux sept couleurs du spectre solaire : la comparaison est harmonieuse, mais elle manque de justesse. L’homme n’est que supérieur aux autres êtres ; il n’est pas la combinaison suprême de tous les élémens qu’ils peuvent présenter. C’est un honneur qu’il nous faut savoir récuser, loin de nous croire orgueilleusement dans la création un centre ou une limite nécessaire.

Arrivons au second terme de la proposition : Dieu. M. Tiberghien, qui n’est pas catholique, n’est ni athée, ni théiste, ni panthéiste. Sa doctrine sur Dieu se résume dans l’expression significative de panenthéisme : au lieu de dire « tout est Dieu, » il faut dire, selon lui, « tout est en Dieu. » Dieu, cause du monde, est l’être d’harmonie infinie et absolue, comme l’homme est l’être d’harmonie dans les limites du monde. M. Tiberghien se sépare des théistes en ce qu’il n’isole pas Dieu dans une sphère où il se contemple stérilement ; il se sépare des divers systèmes de panthéisme en ce qu’il fait de Dieu une personnalité, et non pas une substance infinie dont nous ne devions être que les modes périssables ou les manifestations transitoires. L’homme doit agir comme cause et comme volonté libre. Il suffit d’indiquer cette seconde partie de la théorie sans la soumettre à des critiques qui s’écarteraient du plan de ce rapide tableau. Le plus ou moins de vérité que présente cette thèse n’en constitue pas l’importance : cette importance réside surtout, à nos yeux, dans les tendances mêmes que révèlent de pareils livres. Ce n’est point en un jour que l’ordre complet doit s’établir dans des questions aussi élevées ; néanmoins on ne peut atteindre un semblable résultat sans la discussion, et c’est ce que nous voulions faire ressortir.

La discussion est sortie de nos habitudes, malgré nous peut-être, dans un certain ordre d’idées ; ce qui est incontestable, c’est qu’elle est sortie volontairement de nos habitudes philosophiques : quand y rentrera-t-elle ? Qui pourrait le prévoir ? Nous n’avons jamais été bien sincèrement attirés par ces études qui nous effraient lorsqu’elles ne nous semblent pas inutiles : c’est à elles seules pourtant qu’on doit de posséder quelque certitude dans des questions plus directement applicables à nos idées et à nos besoins de chaque jour ; mais une sorte de revirement s’opère. L’économie et la politique se tournent franchement vers la philosophie et la morale, et leur demandent des bases certaines : une fois que le courant sera bien établi, grâce à la discussion, nul doute que nous ne soyons des premiers à fournir des développemens réguliers et à donner d’utiles conclusions. Constatons, en attendant, que nos voisins prennent les devans, et que les résultats dus par la suite à nos ingénieuses comparaisons ne pourront amoindrir le premier honneur de leurs patientes recherches. Cet avantage que nous aimons à reconnaître aux écrivains belges dans la critique philosophique nous permet d’augurer favorablement des efforts qu’ils dirigent dans un autre domaine, celui des let-