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assurer à la fois et le maintien de la justice dans l’ordre civil, et le respect du bien public, et l’honneur des peuples. L’inspiration du génie et de la vertu peut beaucoup faire dans la politique comme dans tout le reste. Il ne s’ensuit pas cependant que les préceptes de la religion, les maximes de la morale, les soins de l’éducation, les méthodes de la science, les règles de l’art, soient inutiles. Il faut en tout à l’homme des barrières et des appuis, et les constitutions ont pour but de lui en donner dans la politique. Ainsi la prévoyance d’une sagesse spéculative vient en aide à l’équité et à l’habileté pratique. Quand, depuis qu’il y a des sociétés sur la terre, l’éloge des lois est dans toutes les bouches, quand leur nom sacré est partout invoqué par le fort et par le faible, quand il n’est tyrannie ou révolte si audacieuse qui ne se vante de vouloir sauver, conquérir ou rétablir une légalité tutélaire, comment croire que le genre humain se soit concerté pour mettre sa confiance en de vaines fictions, et pour attendre son salut des combinaisons arbitraires de l’abstraction et de la logique? Quand les lois se levant du sein de la nuit arrêtaient Socrate prêt à franchir le seuil de sa prison, quel plus éclatant témoignage la sagesse et la vertu individuelle pouvaient-elles rendre de l’autorité de la prudence sociale que de lui céder au moment même où elle commandait le respect de l’erreur et l’obéissance à l’injustice? Mais aussi comment alors ne lui pas demander les plus savantes garanties du droit et ne pas vouloir qu’elle s’efforce d’être réellement dans ses décrets la raison écrite, comme elle se vante de l’être? Comment surtout, si les individus doivent tant aux lois, ne pas exiger de lois pour les pouvoirs? à qui ce frein est-il plus nécessaire qu’au gouvernement? S’il est la justice armée, c’est quand la loi le fait juste et lui donne ses armes. S’il est bon par la vertu de ceux qui l’exercent, la loi doit lui plaire; s’il ne l’est pas, la loi le sera pour lui : elle complète nos sagesses passagères par sa sagesse éternelle.

Voyons d’ailleurs s’il y aurait contradiction nécessaire entre les deux termes à concilier, et qui sont la force de l’état et la liberté du citoyen. Il ne le semble pas à première vue. Partout où la liberté a pénétré, la liberté politique, la liberté civile, on n’a point vu venir à sa suite la débilité du peuple ou du pouvoir. Les nations qui ont jeté un éclat durable, exercé une durable influence, ont été libres pour la plupart. Bien plus, la liberté, une liberté quelconque, a donné à de petites nations une puissance et une renommée supérieures à leurs forces naturelles. Venise, la Suisse, la Hollande, bien d’autres, ont pris dans l’histoire une place qu’aucun despotisme resserré dans les mêmes limites n’aurait osé seulement convoiter. Je ne remonte pas à l’antiquité ; je ne parle pas de la ville