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més furent remplacés. Dans chaque état, le nombre des destitutions fut exactement proportionné au degré d’exigence des républicains. Le président se sentit fort soulagé, lorsqu’il vit « la terrible opération, » à laquelle il n’avait consenti qu’avec répugnance, se terminer sans produire sur le public une trop fâcheuse impression. Pour satisfaire les vainqueurs, il en restait une autre à pratiquer d’une nature plus grave, mais qui pesait bien moins à Jefferson, parce que le congrès devait en être chargé. En vertu d’un bill voté dans la dernière session, vingt-deux nouvelles places judiciaires avaient été créées, et John Adams s’était empressé de les donner à ses amis. L’inamovibilité de la magistrature fédérale étant garantie par la constitution, il avait d’abord paru à Jefferson bien difficile « de défaire ce qui avait été fait ; » mais il ne s’arrêta pas longtemps à ces difficultés constitutionnelles. Pour les surmonter, il suffisait de trouver une majorité disposée à oublier pour un instant « le principe sacré » que sa toute-puissance avait le droit pour limite. Le droit ne fut pas violé sans détours. Les magistrats nommés par John Adams ne furent pas destitués ; le congrès supprima simplement leurs fonctions, en rapportant la loi qui avait institué de nouveaux sièges.

Ce coup de majorité parut presque naturel au pays, tant les fédéralistes y étaient devenus impopulaires. Ils perdaient tous les jours de leur poids, même dans les états où ils conservaient encore la prépondérance. En vain leurs journaux empruntaient à l’ancienne presse républicaine l’âpreté et la grossièreté de son langage ; ils ne trouvaient que des lecteurs blasés. Le public était las des grandes luttes auxquelles il s’était mêlé sous la présidence de Washington et sous celle de John Adams. La vieille rivalité entre le nord et le sud, qui avait si longtemps donné un aliment aux querelles de parti, semblait elle-même s’amortir. Les questions de principes ne suffisaient plus à passionner l’opinion, et aucune grande question d’intérêt ne divisait alors les diverses régions économiques des États-Unis. L’opposition manquait d’un levier pour soulever les esprits: elle avait été battue dans les élections générales de 1801, et elle devait s’attendre encore à de nouvelles défaites. « Notre majorité dans la chambre des représentans est de deux contre un, écrivait Jefferson à M. Barlow ; dans le sénat, elle est de dix-huit contre quinze. À la prochaine élection, elle sera de deux contre un dans le sénat, et il n’est pas à souhaiter dans l’intérêt public qu’elle devienne plus considérable… Nous serons bientôt si forts que nous nous diviserons. »

Quel usage le président allait-il faire de toute cette force ? Quelles grandes innovations allait-il introduire dans la pratique du gouvernement américain, pour justifier le nom de révolution qu’il donnait